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de s’aliéner l’Europe. M. de Moustier, par sa modération, par sa loyauté, avait déjoué de ténébreux desseins. En restant impassible devant des excitations calculées, il avait isolé la Prusse, rejeté son ministre dans ses embarras intérieurs. Il avait montré « que le gouvernement d’un grand pays n’exposait pas les forces dont il était le gardien aux convenances d’un homme d’état téméraire[1]. »

C’était un succès, mais stérile et bien chèrement acheté, un succès à la Pyrrhus, le dernier que la fortune ménageait à l’empereur. Il en était redevable avant tout à l’intervention résolue des puissances ; il le devait au sens politique de son ministre des affaires étrangères, à l’activité indomptable de son ministre de la guerre, et peut-être aussi à la vigilance patriotique de sa diplomatie. La France n’eût pas échappé à l’invasion si le sang-froid, la prudence et l’énergie ne s’étaient pas trouvés réunis dans ses conseils pour déchirer une trame diplomatique savamment ourdie et déjouer une conspiration militaire qui, prête à éclater contre nous, n’attendait qu’un prétexte. L’enseignement qui ressortait de cette périlleuse épreuve fut perdu. Les hommes qui succédèrent à M. de Moustier et au maréchal Niel ne surent ni préparer la guerre ni la conjurer. Ils tombèrent dans le piège qu’on avait évité. Au lieu de se retrancher sur la défensive et de laisser à M. de Bismarck, en rébellion avec le sentiment des puissances, la responsabilité de la guerre, ils assumèrent le rôle de provocateurs. Ils n’avaient tiré aucune moralité de l’affaire du Luxembourg ; ils n’avaient pas compris que 1867 n’était que le prélude de 1870.

Le 14 mai, le ministre des affaires étrangères communiquait aux chambres le résultat des travaux de la conférence de Londres. La neutralisation du Luxembourg était proclamée et placée sous la garde des puissances contractantes. Le grand-duché restait sous la souveraineté du roi des Pays-Bas, appelé à exercer ses droits dans toute leur plénitude sur la ville comme sur le reste du pays. Le gouvernement prussien s’engageait à évacuer la place après l’échange des ratifications et à retirer sans retard tout le matériel. On ne fixait aucune date pour l’accomplissement de cet engagement, mais il était entendu qu’il serait exécuté loyalement, de bonne foi et aussi promptement que possible. Le roi grand-duc se chargeait de démanteler la place. Les populations n’étaient pas consultées et les liens avec le Zollverein n’étaient pas rompus, ce qui était contraire aux principes et aux intérêts de la France. Le ministre des affaires étrangères n’en disait pas moins que le traité de Londres répondait pleinement aux vues du gouvernement français. « Il fait cesser, disait-il, une situation créée contre nous dans de mauvais jours et

  1. Dépêche de Francfort.