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des groups d’or représentant parfois une valeur considérable. Je connais bien le désert de Suez ; je réfléchis à mon projet et j’en arrêtai les détails. J’avais relevé la route qui va vers Qôseir ; j’en avais fait une carte où j’avais indiqué les puits. Il me fallait des compagnons, car seul je ne pouvais agir. Je m’ouvris sans réserve à X et à Y. — Edris me nomma deux importans personnages de la colonie étrangère. — Ils acceptèrent et nous convînmes de notre mode de procéder. Nous nous embusquions dans le désert ; au bruit des clochettes de la caravane, nous nous jetions sur les quatre caouas qui toujours marchent en tête ; nous leur brûlions la cervelle avant qu’ils aient eu le temps de se mettre en défense. Nous attachions dos à dos les Barbarins, qui n’étaient pas pour faire reculer trois Européens résolus, nous entravions les chameaux. On éventrait les sacs ; on brûlait sur place tout ce qui était banknotes, billets à ordre, lettres de change ; on se partageait le métal par portions à peu près égales, puis on se séparait et chacun tirait de son côté, avec le nombre de dromadaires utiles pour emporter le butin. Nous avions au moins vingt-quatre heures devant nous avant que l’on s’aperçût de rien. C’était assez pour gagner au pied. L’un de nous allait vers El-Akabah, l’autre se rendait au Sinaï ; quant à moi, j’avais un refuge assuré chez les Arabes Ababdehs ; j’aurais pénétré en Abyssinie d’où, hardiment et pour détourner les soupçons, je me serais rendu à Londres après avoir fait des lingots frappés de la marque du Négus, avec les pièces d’or des Indes et de l’Angleterre. Tout était prêt ; j’avais un mahari capable de courir cinquante lieues sans reprendre haleine ; j’avais tout combiné, tout prévu ; mes compagnons étaient des hommes déterminés ; nous étions certains de réussir. Savez-vous ce, qui nous a fait échouer ? C’est à confondre la raison et à faire douter de la Providence ! Dans ma maison habitait une femme musulmane, ne pouvant avoir d’enfans, honteuse de sa stérilité et consultant toute sorte de sorciers pour être mère. Dans l’escalier, dans les couloirs, elle semait des noix, car la femme devient féconde si un homme étranger à sa famille les écrase par mégarde. — Un soir, la veille même du jour où nous devions partir, je descendais mon escalier, je marchai sur une des noix, qui ne se brisa pas ; mon pied tourna et je tombai. J’avais une entorse, et pendant six semaines je restai étendu sur mon grabat, furieux et maudissant mon sort. La partie était manquée ; mes compagnons y renoncèrent et moi aussi ; il y a des choses que l’on n’essaie pas deux fois. Dans le Times, je lus que la malle des Indes, celle-là même que nous devions attaquer, avait apporté 280,000 livres sterling en or, plus de 7 millions de francs. Je ne m’en suis jamais consolé ! » — Edris-Effendi s’était tu ; je me taisais aussi, car j’aurais été fort empêché de répondre à sa confession. Nous marchions