Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

convenance comme du choix de la sagesse[1]. » — Voilà effectivement ce que Leibniz affirme en maint endroit et sous mainte forme ; mais, de preuve, il n’en donne nulle part. En premier lieu, il se contente d’identifier, par un nouvel abus des termes, ce qui est logique (et dont le contraire est impossible) avec ce qui est sage, ce qui est rationnel en soi avec ce qui est raisonné en vue d’une fin, sous le prétexte que ce qui est logique est intelligible, que ce qui est raisonné l’est aussi, et que l’intelligible doit être l’œuvre d’une intelligence. C’est toujours là confondre la nécessité, dont l’intelligence même n’est peut-être que le reflet final et la conscience, avec le choix d’une intelligence primitive. En second lieu, Leibniz se plaît à confondre ce qui est rationnel avec ce qui est beau. A l’en croire, le parallélogramme même des forces, cette loi fondamentale de la mécanique, entraîne dans ses applications des effets qui ne sont pas seulement nécessaires, mais beaux, et qui ainsi témoignent d’un choix. Il espère, en quelque sorte, prouver l’existence de Dieu par le parallélogramme des forces, comme Maupertuis espérait la prouver par le principe de la moindre action. Voici la preuve : — « Un mouvement dans les deux côtés du triangle rectangle compose, dit-il, un mouvement dans l’hypoténuse, mais il ne s’en suit pas qu’un globe mû dans l’hypoténuse doit faire l’effet de deux globes de sa grandeur mus dans les deux côtés ; cependant cela se trouve véritable… Ce qui est beau ; mais on ne voit point qu’il soit absolument nécessaire… Il n’y a rien de si convenable que cet événement, et Dieu a choisi des lois qui le produisent ; mais on n’y voit aucune nécessité géométrique[2]. » — La mécanique actuelle ne serait pas embarrassée pour expliquer par l’analyse mathématique ce qui paraissait surprenant à Leibniz. De même, Lagrange et Laplace ont ramené aux lois essentielles du mouvement le principe tout leibnizien de la moindre action, où on avait aussi voulu chercher une preuve de finalité. Si le rayon réfracté suit la ligne de la plus faible résistance, nous ne pouvons plus voir là une intention merveilleuse ni du rayon lui-même ni de son auteur : la ligne de la plus faible résistance est en réalité la seule ligne possible et non contradictoire, la seule où il y ait réellement un passage pour l’onde lumineuse : c’est donc encore une preuve de nécessité absolue et non de finalité. Tout s’explique en dernière analyse par la loi générale de la persistance de la force, que Leibniz, d’ailleurs, a été lui-même un des premiers à établir.

Mais précisément les leibniziens veulent faire de cette loi même, qui aboutit à la théorie moderne de l’équivalence des forces, une

  1. Principes, de la nature et de la grâce, 11.
  2. Théodicée, part, III, 347.