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religieuses s’est pour un temps apaisée ; on est las des guerres de confession ; on veut vivre et jouir de la vie. Le clergé protestant lui-même s’est relâché de sa règle austère, il recherche la faveur des princes et il exploite leur crédulité ; l’ignorance et la misère favorisent l’esprit de superstition ; on croit aux sortilèges, on leur attribue tous les fléaux, on brûle et persécute les prétendus sorciers. En revanche, le scepticisme gagne les gens éclairés, ils commencent à réfléchir sur les maux qu’engendrent les guerres de religion : « On a si longtemps discuté, maudit, anathématisé des croyances différentes, que la malédiction et la haine ont pénétré dans l’âme du peuple ; les hommes ont cherché à se nuire les uns aux autres, à se détruire pour des questions de foi, et le pays est devenu une sorte de solitude. Il est effrayant de voir quelle figure grimaçante a prise la doctrine de l’amour. » Ces réflexions conduisent au découragement et au doute.

Nous nous bornons à indiquer l’intention principale de ce roman, qui est de faire ressortir l’incohérence, l’anarchie et l’incertitude de l’Allemagne vers le milieu du XVIIe siècle. Cette confusion se retrouve dans l’intrigue et les épisodes du récit, qui ne se distingue ni par la nouveauté de l’invention, ni par l’intérêt des caractères. Est-il besoin de dire que le héros, Bernard Kœnig, capitaine d’une compagnie de reîtres, est le digne descendant du lansquenet George Kœnig ? Noble, courageux et désintéressé comme son ancêtre, il transmet fidèlement ces qualités de race à son fils unique et meurt, frappé par le dernier coup de feu de la guerre de trente ans ; mais l’enfant est sauvé.

L’odyssée des deux petits-fils de Bernard Kœnig remplit la seconde partie du roman. L’un, ministre du culte réformé, nous ramène à Thorn, au XVIIIe siècle. L’arrogante persécution que les jésuites et leurs amis les Polonais exercent dans cette ville contre les Allemands protestans justifie la prédiction de Luther et le partage de la Pologne. — L’autre frère est soldat en Saxe et en Prusse. Il fournit au romancier un prétexte à exposer, dans de petits tableaux l’organisation de l’armée prussienne sous Frédéric-Guillaume Ier, cette armée qui sera un jour le point de réunion de toutes les énergies latentes, de tous les élémens dispersés de l’Allemagne. L’esprit de discipline et de subordination renaît sous la main de fer du roi de Prusse. Avec quels traits adoucis, émoussés, l’auteur peint ce régime de galère de l’armée prussienne, et ce roi bigot, féroce jusque dans la plaisanterie, d’une avarice sordide, toujours prêt à bâtonner les gens ou à les envoyer à la potence ! A mesure que les périodes choisies par M. Freytag se rapprochent de nous, le parti-pris devient plus frappant. Ajoutons que, parmi ces grands souvenirs historiques, les héros du roman font assez piètre