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de son héritage ; ses voisins s’en sont emparés ; il fait le siège de son propre château, qui devient la proie des flammes, et ne sauve du désastre qu’une tour à demi ; ruinée. C’est dans cette misérable demeure, où il était à se morfondre, que vint un jour le visiter, et le surprendre la belle Hedwige. Elle aimait toujours Ivo et voulait lui offrir sa fortune et sa main ; il n’avait, lui, pas même un escabeau en son logis. Pour causer plus à l’aise, la dame fit apporter des tapis et des coussins. Ivo d’abord garda une modestie fière, car son cœur appartenait à Friderun, son amie d’enfance, accourue en Palestine pour le secourir lorsqu’il était prisonnier. La duchesse cherchait à l’éblouir par la promesse de la faveur impériale. Ce fut en vain : il préférait l’indépendance d’un hobereau à toutes les dignités de la cour. Mais elle sut émouvoir l’amour-propre du chevalier en lui rappelant ses tournois, ses prouesses et quelques souvenirs de lui conservés comme de précieuses reliques. Touché, séduit, Ivo serre Hedwige dans ses bras et couvre ses lèvres de baisers enflammés. Tout à coup, au dehors retentissent des cris de détresse. Ivo frémit ; il connaît cette voix chère qui appelle et supplie, il s’élance… Mais Hedwige a saisi sa harpe : celui qu’elle aime n’est-il pas poète ? Elle chante en s’accompagnant les poésies d’Ivo ; son chant ne peut couvrir les cris déchirans qui implorent. Ivo, éperdu, s’arrache enfin, tandis que l’amante délaissée brise sa harpe dans un mouvement de colère et s’affaisse sur le tapis, à demi suffoquée d’humiliation et de désespoir.

Le preux chevalier eut bientôt rejoint la villageoise Friderun et son père, le paysan hérétique, celui-là même qui possédait la traduction en langue vulgaire de l’évangile selon saint Marc. Le moine Dorso traînait le père et la fille au bûcher, lorsqu’Ivo, secondé par les chevaliers teutoniques, qui se trouvèrent là fort à propos, délivra ces deux victimes de la cruauté romaine. Ivo épousa Friderun, et cela finit comme au temps où les rois épousaient des bergères. Hedwige retourna à la cour de Frédéric II, son oncle, où la foule des prétendans la consola de sa déconvenue. Cependant l’empereur ; réconcilié avec le pape, organisait une croisade non plus en terre-sainte, mais contre la Prusse païenne. Il confiait aux chevaliers teutoniques et au grand-maître Hermann de Salza la mission de la diriger. Ivo prit part à cette conquête, il émigra avec les autres pèlerins sur les bords de la Vistule, à Thorn, où nous retrouverons ses descendans établis trois siècles plus tard sous le nom moderne de Kœnig.

Bien que ce roman ne soit pas un des meilleurs de la série, que l’action en soit languissante, que les caractères manquent d’originalité et de relief, il intéresse par cela même que le procédé de