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les politiques d’abord, et les principaux protestans, comprirent bien vite qu’ils trouveraient plus tard en lui un chef, et s’associèrent à sa fortune.

Au moment où le duc d’Anjou se montrait si peu disposé à épouser Elisabeth, Catherine avait pensé à lui substituer son frère, ne s’en dissimulant pas toutefois les difficultés : « Il a seize ans passés, écrivait-elle à La Mothe-Fénelon, il est petit pour son âge ; s’il étoit de grande venue comme ses frères, j’en espérerois quelque chose, car il a l’entendement et le visage de plus d’âge qu’il n’a d’âge. » La Mothe-Fénelon répondit que la reine aurait lieu de s’en offenser comme d’une moquerie. Mais, dans les premiers jours de janvier 1572, lorsque le projet de mariage d’Elisabeth avec le duc d’Anjou fut définitivement abandonné, Catherine, revenant à sa première idée, invita La Mothe-Fénelon à profiter d’une prochaine occasion pour proposer le duc d’Alençon : elle s’offrit bientôt d’elle-même. À la fin de janvier, La Mothe-Fénelon passa une grande heure à deviser avec Elisabeth, en compagnie de Cecil et de Leicester ; au moment où Cecil se retira, La Mothe le suivit dans une salle voisine et, l’entretien reprenant, il l’amena, de propos en propos, sur le duc d’Alençon. « En avez-vous déjà parlé à la reine ? demanda Cecil. — Pas encore. — Eh bien ! gardons-nous d’en donner connaissance à qui que ce soit-, jusqu’à ce que nous nous soyons mis d’accord sur la manière de nous y prendre. » Sur ces entrefaites, des lettres de Smith et de Walsingham, favorables à ce projet, étant arrivées de France, Cecil se hasarda d’en parler à Elisabeth. « La disproportion d’âge, lui dit-elle, est par trop inégale. Quelle taille peut avoir au juste le duc d’Alençon ? — La mienne, à peu près, répondit Cecil. — Vous voulez dire celle de votre petit-fils ? » Il n’osa pas répliquer.

En faisant part à La Mothe-Fénelon de cet entretien, Cecil lui avoua néanmoins qu’il préférait de beaucoup le duc d’Alençon à son frère, comme plus éloigné d’un degré du trône, et parce qu’il s’accommoderait, lui avait-on dit, plus facilement de la religion anglicane. La Mothe-Fénelon en convint. La négociation étant ainsi engagée, Catherine voulut y mettre la main elle-même. À la fin de mars, se promenant dans le parc de Blois, elle s’y rencontra avec Smith et Walsingham et, comme entrée en matière, elle leur demanda si le duc de Norfolk avait été exécuté. Ils répondirent qu’ils n’en avaient reçu aucune nouvelle. « Il serait à désirer, leur dit-elle, que votre maîtresse pût sortir de ces troubles. » Et, se tournant vers Smith : « Ne sauriez-vous trouver un moyen de lui faire agréer mon fils d’Alençon ? Je ne vois pas où elle pourrait avoir mieux. — S’il plaisait à Dieu, répondit Smith, qu’elle fût mariée et qu’elle eût un fils, toutes les conspirations seraient bien vite étouffées ; si j’avais un pouvoir aussi étendu que pour le duc d’Anjou, l’affaire