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et celle de la rue. Or la première même incomplète, je dirai presque même mauvaise, vaut mieux que la seconde, qui est fatale. On ne saurait, en effet, s’imaginer, si l’on n’a pas rôdé le soir dans les quartiers populeux, ce qu’il entre de corruption dans l’âme des enfans rien que par les yeux. C’est pitié de voir, à l’âge des curiosités malsaines, garçons et fillettes béant à l’entrée des cafés-concerts et des bals mal famés, s’attroupant devant la porte de maisons dont ils ne devraient même pas soupçonner l’existence, ou, s’ils sont repoussés, s’asseyant sur le trottoir d’en face pour voir les entrans et les sortans. Sans doute l’école ne suffit pas à les préserver de ces enseignemens pernicieux, mais elles les tient captifs une partie du jour, et surtout elle leur met dans l’esprit, dans l’âme d’autres notions que cette connaissance précoce et malsaine des laideurs de la vie. Pendant la durée du temps que l’enfant du pauvre passe à l’école, c’est-à-dire de sept à douze ans, une sorte de combat se livre en lui entre ces notions et celles de sa triste expérience, combat, dont en pénétrant dans une école populaire, il semble qu’on pourrait lire à l’avance l’issue sur la physionomie des enfans. Les uns conservent un air sauvage ou sournois, leurs vêtemens sont sales et leurs cheveux tombent en mèches rebelles sur leur front bombé; les autres, au contraire, ont l’air propre et assoupli ; leur physionomie est ouverte, leur regard franc, et si ce sont des petites filles, leurs cheveux séparés en bandeaux sont soigneusement rattachés avec un ruban derrière la tête.

L’influence de l’éducation sur l’enfance est donc incontestable. Mais je crains que cette influence ne soit singulièrement compromise par la campagne de laïcisation à outrance et qu’au point de vue si important de l’éducation morale des filles, le bienfait par la multiplication des écoles ne soit compensé par la proscription des sœurs. Je m’explique : je ne prétends pas que les institutrices laïques ne donnent pas une éducation morale aux enfans : ce serait aussi absurde qu’injuste. Autant que j’ai pu voir et savoir, il y a dans ce personnel nombreux dont, avec le temps, le recrutement finira par présenter certaines difficultés, deux élémens assez distincts: l’un, composé peut-être des plus anciennes institutrices, simple, austère, uniquement préoccupé de ses devoirs et les remplissant avec conscience; l’autre plus élégant, plus dissipé et ne cherchant dans cette carrière, vers laquelle on pousse aujourd’hui si fort les jeunes filles, qu’un débouché passager. Mais les meilleures d’entre elles n’acquièrent jamais sur les enfans (c’est là un fait d’expérience) une influence égale à celle des sœurs, influence qui par les enfans remontait jusqu’aux parens. Les sœurs de ces maisons appelées si bien maisons de secours et qui s’occupaient à la fois de l’école, de la visite des indigens et de celle des malades, ont pratiqué