Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/524

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son armée, de faire oublier ses violences et agréer par l’Europe la transformation qu’elle poursuivait en Allemagne.

M. de Bismarck était un grand charmeur ; il n’eut pas de peine à nous calmer ; on rassure aisément ceux qui ne demandent qu’à être rassurés. Il savait que M. de Moustier, comme tous ceux de nos ambassadeurs qui ont passé à Constantinople, s’exagérait volontiers la portée de nos intérêts en Orient ; il nous par la Turcs et Candiotes. Les pacifier et les réconcilier était d’après lui le grand intérêt du moment. Il importait de conjurer le démembrement de l’empire ottoman et de préserver la paix du monde. La Prusse nous seconderait dans cette grande tâche et réglerait son pas sur le nôtre. Comment, après de telles assurances, mettre en doute le désir sincère de M. de Bismarck de nous réconcilier avec le passé et de nous donner pour l’avenir des gages certains de ses bonnes dispositions ? Il avait évité, il est vrai, de s’expliquer sur l’Allemagne ; mais si de ce côté la situation restait obscure, l’horizon s’était du moins éclairci du côté de l’Italie et de l’Orient. Le péril présent était conjuré, on n’en demandait pas davantage.

Les rapports qui arrivaient d’Allemagne semblaient confirmer les tendances conciliantes du cabinet de Berlin, avec des réserves toutefois au sujet de ses armemens.

« M. de Bismarck, écrivait-on, depuis son retour de Varzin, semble vouloir imprimer un temps d’arrêt à sa politique d’expansion, trop vigoureusement accentuée pendant son absence. Les hommes politiques les plus entreprenans éprouvent parfois le besoin de se recueillir. On comprend, du reste, que le premier ministre du roi de Prusse, tout impatient qu’il soit de réaliser son œuvre, s’arrête hésitant dans sa marche lorsqu’il voit l’Autriche se relever sous une direction habile et énergique plus vite qu’il ne l’espérait, et que sa diplomatie attentive lui signale à Pétersbourg des dispositions marquées à s’entendre avec la France sur la question orientale, et que, même à Florence, se manifestent des symptômes de réaction contre ses tendances. Les résistances qu’il rencontre à l’intérieur lui commandent d’ailleurs une grande circonspection au dehors. Il s’agit de resserrer sans perte de temps et de rendre indissolubles les liens qui viennent d’être contractés au nord sous l’empire de la violence et au sud sous le sentiment d’une crainte irréfléchie, avant que l’Europe ait le temps de se reconnaître. Se servir de la France comme d’un épouvantail, ou bien représenter le cabinet de Berlin et le cabinet des Tuileries unis dans les rapports les plus confians, sont les moyens dont le gouvernement prussien fait usage tour à tour et toujours avec succès. Son intérêt semble lui conseiller aujourd’hui d’affecter la modération et d’éviter tout ce qui pourrait porter atteinte aux susceptibilités