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faits par Wilfred ; mais quand les deux hommes se trouvèrent seuls, Saint-John commença brusquement :

— Est-il vrai, Athelstone, que vous partez pour l’Amérique ?

La nuit était sombre ; il lui fut donc impossible de voir si le coupable changeait de couleur en répondant :

— Qui a pu vous dire cela ?

— Ma cousine, Mary Goldwin, que miss Brabazon a retrouvée à Wiesbaden. Elle vient de me l’écrire.

— Les femmes ne savent jamais se taire. Eh bien ! oui, j’ai quelque intention d’entreprendre ce voyage, et si je désire qu’on n’en parle d’avance que le moins possible, c’est que Nellie ne sait pas encore…

— Le plaisir de vous faire entendre au-delà des mers sera-t-il assez vif pour que vous lui sacrifiiez tous vos devoirs ? interrompit Saint-John avec une indignation contenue.

— Mes devoirs ?.. Je considère comme mon premier devoir de répandre les idées que je crois bonnes… D’ailleurs il ne s’agit pas de cela seulement… S’il faut vous le dire, je suis horriblement gêné et je n’ai pas trouvé de meilleur moyen pour me tirer d’affaire.

— Le moyen est détestable. Vendez votre maison de Londres, emmenez votre femme à l’étranger, tout ce que vous voudrez enfin, sauf ceci. Vous n’avez pas la moindre idée du tort que vous vous ferez. Pour ne prendre les choses qu’au point de vue mondain…

— Je refuse de me placer à ce point de vue. Le monde trouvera qu’un pair d’Angleterre se déshonore en faisant des conférences pour de l’argent. J’ai prévu cela et je m’en moque.

— Eh bien ! ne parlons que de votre femme. Un dévoûment absolu pouvait justifier votre mariage aux yeux de tous… Si, au contraire, après dix-huit mois, vous partez seul pour l’Amérique,.. car vous partez seul, n’est-ce pas ? dit Saint-John en s’arrêtant avec un regard interrogateur qui perça l’obscurité.

Wilfred malgré tous ses défauts, était incapable de mensonge ; il aurait donné beaucoup pour pouvoir éviter de répondre à cette question directe, d’autant qu’il savait que Hubert tirerait de sa réponse une conclusion fausse : il ne se sentait pas amoureux de Mme de Waldeck, l’ascendant qu’elle avait sur lui était, croyait-il, purement intellectuel, mais le monde ne voudrait pas admettre cela et Hubert pour le moment représentait le monde.

— Une personne de mes amies, répondit-il lentement, a des projets semblables aux miens qu’elle compte mettre à exécution vers la même époque. Je vous le dis en confidence, Hubert, bien qu’il n’y ait là-dedans rien dont je doive avoir honte.

— Je ne parlerai de vos desseins à qui que ce soit, et pour une bonne raison, c’est que je suis persuadé que vous ne les exécuterez pas. Vous n’êtes ni fou ni méchant ; vous réfléchirez à