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et familière éloquence. On suivit de point en point les conseils du prédicateur, et nous savons, par le témoignage d’un contemporain que les fèves, semées suivant les recommandations du cordelier, contribuèrent beaucoup à nourrir l’armée royale, lorsqu’elle fit le trajet de Troyes à Châlons dans la campagne du sacre. « L’armée du roi se tint là (devant Troyes) ainsi comme à siège par l’espace de cinq jours. Durant lesquels souffrirent ceux de l’ost (armée) plusieurs malaises de faim, car il y en avait de cinq à six mille qui furent près de huit jours sans manger pain. Et de fait beaucoup seraient morts de famine, n’eût été l’abondance des fèves qu’on avait semées cette année de l’avis d’un cordelier nommé frère Richard qui, dès l’Avent de Noël et auparavant, avait prêché par le pays de France en divers lieux. » Il résulte de ce passage que frère Richard, avant de se rendre à Paris, où il prêcha du 16 avril au 10 mai 1429, avait fait retentir toute la Champagne, et notamment le diocèse de Troyes, des éclats de sa parole profondément populaire, entraînante et patriotique. Aussi les habitans de Châlons, dans une lettre qu’ils adressèrent aux bourgeois de Reims le 5 juillet, quelques jours avant le sacre de Charles VII, parlent-ils de ce prédicateur comme d’une ancienne connaissance, « Les habitans de Châlons, ayant été avisés par les bourgeois de Troyes de l’arrivée du dauphin et ayant appris que les lettres de Jeanne la Pucelle avaient été portées dans la dite ville de Troyes par un nommé frère Richard le prêcheur, en informèrent à leur tour les habitans de Reims, leur mandant qu’ils avaient été fort ébahis du dit frère Richard d’autant qu’ils l’avaient considéré jusqu’alors comme un très bon prud’homme, mais qu’il était devenu sorcier. » Non content d’annoncer l’arrivée de ce libérateur en termes vagues, frère Richard, précisant davantage ses prophéties, ajoutait que Dieu l’avait chargé d’apporter aux populations une autre grande nouvelle. Cette nouvelle, c’était que l’année 1429 amènerait les plus merveilleuses choses que l’on eût jamais vues, et il citait des versets de l’Apocalypse à l’appui de ses prédictions.

Jeanne d’Arc est-elle entrée en relations avec frère Richard dès cette époque où il mettait en émoi les populations de la Champagne orientale ? Elle l’a nié trop formellement devant ses juges, deux ans plus tard, pour qu’on puisse mettre en doute la sincérité de son témoignage : « Interrogée si elle connut onques frère Richard, elle a répondu : — Je ne l’avais onques vu, quand je vins devant Troyes. » Mais de ce que la Pucelle n’a pas connu personnellement frère Richard à la fin de 1428, on aurait tort de conclure que le retentissement des prédications de ce cordelier n’a pu arriver jusqu’à elle.

Domremy, son village natal, alors compris dans le diocèse de