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aurait encore, d’après le dernier recensement, 123,735 indigens pour 1,988,906 habitans, soit une proportion de 6.25 indigens pour 100 habitans. Que devient, en présence de ces chiffres précis, indiscutables, la légende du paupérisme à Londres ?

Il convient cependant, pour serrer la question d’aussi près que possible, de faire une double observation. La première, c’est que les listes d’indigens à Paris et à Londres ne sont pas dressées de la même manière. Tandis qu’à Paris l’inscription s’opère, ainsi que nous l’avons vu, d’après des règles fixes, à Londres elle est laissée à l’appréciation du bureau des administrateurs (board of guardians) de chaque workhouse ; de sorte que telle famille d’indigens qui serait admise aux secours publics à Paris pourrait, à la rigueur, se les voir refuser à Londres. Mais ce n’est pas, en tout cas, un resserrement dans les libéralités de la charité publique qui a amené la réduction du nombre des indigens inscrits, puisque la somme distribuée d’après les comptes de la dernière année financière s’est élevée à 1,806,637 livres sterling, soit un million de plus qu’en 1861[1]. Toutefois je devais faire cette première observation, car, pour que les comparaisons de chiffres aient une valeur absolue, il faut qu’ils soient établis identiquement de la même manière. La seconde observation, c’est qu’en cette matière les chiffres ne sont pas tout, et qu’à côté du chiffre il faut aussi, si j’ose ainsi parler, apprécier la qualité de la misère. Or il est certain qu’à Londres, les victimes de la misère paraissent atteintes plus profondément qu’à Paris. Quelle qu’en soit la cause, le pauvre et surtout la pauvresse de Londres, cet être dont le roman, le théâtre et la peinture se sont emparés, est plus dégradé d’aspect, de mœurs, de sentimens qu’il ne l’est à Paris. Quiconque a visité Londres conserve sur ce point des impressions contre lesquelles aucune statistique ne saurait prévaloir. Mais, laissant de côté toute idée de comparaison, cette diminution du paupérisme à Londres n’en est pas moins un fait très remarquable. La même décroissance est observée au reste dans toute l’Angleterre. En 1849, la population de l’Angleterre était de 17,534,000 habitans, et le chiffre des pauvres atteignait à 1,088, 659 habitans, soit environ 6 pour 100. Vingt-deux ans plus tard, en 1871, année où cependant la misère a été très grande partout, tandis que la population s’élevait à 22,704,108, le nombre des indigens ne dépassait pas 1,037,360, soit de 4.6 pour 100. En

  1. Peut-être aussi faut-il tenir compte d’une certaine répugnance des pauvres de Londres pour la charité publique qui les ferait s’adresser de préférence à la charité privée. Je crois ne de voir négliger aucune explication, car j’ai peine à croire moi-même que la proportion véritable des pauvres à Londres et à Paris puisse être du simple au double.