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« va mal penser du roi ! » dit-il justement à la bataille de Towton, en voyant les malheurs causés par sa faiblesse.

Marguerite d’Anjou personnifie le mauvais génie de l’Angleterre. Les légendes nationales, dont s’inspire Shakspeare, la représentent comme la cause principale des désastres du pays où elle est appelée à régner. Son mariage qui fait perdre aux Anglais l’Anjou et le Maine entraîne bientôt la ruine de la domination anglaise en France. Les traits de son caractère sont certainement exagérés par le poète ; il la fait plus coupable et plus odieuse qu’elle ne fut en réalité ; mais du moins ne nous la représente-t-il jamais différente d’elle-même et annonce-t-il déjà dans la première partie d’Henri VI ce qu’elle deviendra dans la seconde et dans la troisième. « C’était une femme de grand esprit, de plus grand orgueil, » dit un chroniqueur anglais. L’orgueil est bien la première qualité que lui attribue Shakspeare. Faite prisonnière en France par Suffolk, elle ne songe pas un instant à implorer son vainqueur. « Marguerite est mon nom, dit-elle fièrement, et je suis la fille d’un roi… Quelle rançon dois-je payer avant de partir ? » L’offre d’une couronne n’a même pas de quoi l’émouvoir. « Être reine dans l’esclavage est plus vil que d’être esclave dans une basse servitude ; car les princes doivent être libres. »

Nous étonnerons-nous après cela qu’une fois reine d’Angleterre, elle ne puisse se résigner au rôle effacé que joue le roi Henri VI sous le protectorat du duc de Glocester ? Elle veut la réalité avec les apparences du pouvoir ; elle s’indigne qu’on ose présenter des pétitions au protecteur au lieu de s’adresser au roi et, dans un mouvement de colère, elle déchire les suppliques qui se trompent ainsi d’adresse. « Est-ce donc là, dit-elle, la mode de la cour d’Angleterre ? Est-ce là le gouvernement de l’île de Bretagne ? Est-ce là la royauté d’un roi d’Albion ? Quoi ! le roi Henri sera-t-il toujours en pupille sous la tutelle du morose Glocester ? Et moi, reine seulement de titre et d’étiquette, dois-je devenir la sujette d’un duc ? » Il n’est pas jusqu’à l’amour que Shakspeare attribue gratuitement à Marguerite d’Anjou pour le duc de Suffolk, plus âgé qu’elle de quarante ans, dont on ne puisse surprendre le germe dans la première partie d’Henri VI.

L’unité du caractère de Richard Plantagenet, duc d’York, se soutient sans défaillance à travers la trilogie tout entière. Il en est le personnage le moins expansif, le plus replié sur lui-même ; dévoré d’ambition, mais, poursuivant un but encore éloigné, il s’avance pas à pas avec la prudence d’un politique capable de hardiesse, mais obligé de se contenir et d’attendre avec patience le moment de lever le masque. Il commence d’abord par se bien