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concourir toutes les forces vives au développement matériel du pays, assuré de son indépendance garantie par une grande puissance. Que de fois avons-nous vu, aux îles Sandwich, nos efforts entravés, contre-carrés par les représentans de l’Angleterre et des États-Unis, par les réclamations des gouvernemens étrangers prétendant s’immiscer dans des questions d’administration intérieure, désireux d’exercer leur influence et de faire prévaloir leurs idées. Quand, au nom du gouvernement, nous affirmions hautement notre volonté bien arrêtée de nous tenir en dehors des questions religieuses, de limiter le rôle de l’état à l’impartialité la plus stricte, la France nous reprochait de ne pas encourager le développement de la mission catholique; les États-Unis nous accusaient d’entraver l’œuvre de propagande des missionnaires protestans, l’Angleterre réclamait pour les anglicans des privilèges et des droits nouveaux.

A Paris, on s’irritait de nos résistances à la libre admission des eaux-de-vie et au droit élevé qui les frappait; à Londres et à Washington, on réclamait la prohibition absolue ; les journaux américains entretenaient une agitation annexionniste, mettaient leur gouvernement en demeure d’agir et de s’emparer d’un archipel civilisé par leurs missionnaires et où leurs comptoirs, leur commerce, leurs capitaux et leur immigration primaient tous les autres. C’est au milieu de ces difficultés chaque jour renaissantes qu’il fallait diriger, gouverner, imprimer l’impulsion, développer les ressources matérielles d’un pays dont la prospérité croissante éveillait les convoitises étrangères, et dans lequel on chercherait vainement aujourd’hui un adulte ne sachant pas lire, écrire et compter. Nos établissemens de l’Océan-Pacifique du Sud n’ont pas eu à traverser ces épreuves. Le champ était libre. On pouvait agir sans crainte et sans entraves. Le problème était autrement simple. Pourquoi et comment n’a-t-on abouti qu’à de si médiocres résultats?

Une première faute a été de confier au début l’administration de la colonie naissante à des hommes mal préparés par leur éducation première à cette tâche délicate. Nous prions ici nos lecteurs de ne pas s’y méprendre : nous n’attaquons personne, nous discutons un principe. Nul n’a plus que nous le respect des admirables qualités de notre marine, mais nous tenons pour certain que ces qualités mêmes ne sont pas compatibles avec l’administration d’une colonie. Elevés dans le respect d’une discipline sévère, d’une hiérarchie très marquée, dans le sentiment d’une responsabilité absolue et du droit à une obéissance passive de la part de leurs inférieurs, nos officiers de marine ne sauraient, du jour au lendemain, s’affranchir d’une tradition qui fait leur grandeur et leur force morale. Dans