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réunies tous les six ans en un congrès pour le nommer, il a été constitué à la suite d’un accord des partis. Qui pourrait en faire un grief spécial aux Suisses ? N’est-ce pas ainsi que notre conseil d’État a été formé en 1872 ? La lutte des partis a-t-elle respecté la magistrature administrative qu’il s’agissait de constituer ? C’est le sort commun des institutions et des hommes qui les -composent de porter la trace de leur origine. Il reste à savoir laquelle s’efface le plus vite de la marque apposée par une assemblée politique ou par un seul homme issu lui-même de la politique, ministre pour quelques jours, et dont la responsabilité individuelle est non moins illusoire que la responsabilité collective d’une assemblée. Ce qui est vérifié par l’expérience, c’est que l’empreinte, dans l’un et l’autre cas, ne disparaît que si le magistrat est permanent et inamovible.

Il est vrai que certaines constitutions cantonales ont cherché à écarter de l’organisation judiciaire l’influence fatale de la politique. Quelques cantons, pour éviter le contre-coup direct des passions populaires, ont ajourné les élections judiciaires à la deuxième année qui suit l’élection de la législature. Aussitôt après la formation de l’assemblée politique, les députés emploient leur première ardeur à la formation du pouvoir exécutif ; puis, l’année suivante, quand le feu des élections est éteint, le grand conseil procède à l’élection des magistrats. Chacun des partis présente sa liste : au premier tour, on mesure ses forces, en ne portant que des amis ; puis, avant le second tour, on transige sur quelques noms, et grâce à cet accord, le tribunal contient deux ou trois juges portés par la minorité. A Lucerne, on a mis un intervalle de deux années entre les élections judiciaires et les élections de députés pour laisser les ardeurs se refroidir, mais c’est une vaine précaution : elles se raniment à l’approche du scrutin, et le candidat, le voulût-il, serait impuissant à empêcher les brigues qui naissent de la compétition des partis.

Si l’inamovibilité existait en Suisse, la nomination par les grands conseils, telle qu’elle y est pratiquée, perdrait quelques-uns de ses dangers. Mais le magistrat qui est le produit d’une élection politique ne peut oublier un seul jour la source de ses pouvoirs : il pense qu’au bout de peu d’années son mandat devra être renouvelé ; il s’en inquiète, il lui est impossible de ne pas songer aux députés dont il dépend, au peuple dont la défaveur peut marquer le terme de ses fonctions. Certains cantons ont cherché à restreindre cette pernicieuse préoccupation du juge, en prolongeant la durée de son mandat. A Bâle, il est de neuf ans, et tous les trois ans un tiers du tribunal est soumis à la réélection. A Berne, les fonctions de la cour suprême durent huit années, les élections d’une moitié des juges ayant lieu tous les quatre ans. Dans la plupart des