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monseigneur, repartit l’auteur du Demi-Monde, à ce que le mariage, surtout au bout d’un mois, n’a pas encore initié la femme à la maternité qu’elle souhaite ou à la liberté qu’elle rêve. »

Si les femmes qui rêvent la liberté, sans savoir toujours très bien ce qu’elles entendent par là, reprochent à la démocratie moderne de rester sourde à leurs doléances et de ne pas prendre leurs vœux en sérieuse considération, les jeunes filles qui se sentent destinées à devenir tout simplement de bonnes mères de famille ne peuvent se plaindre que la société ne fasse rien pour elles. Depuis quelques années et dans tous les pays, on a grand souci de leur éducation, on s’occupe activement de leur procurer cette émancipation mitigée de l’esprit qu’elles réclament. Partout on fonde à leur usage des cours ou des établissement d’enseignement secondaire. En France, le besoin s’en faisait vivement sentir, malgré toutes les ressources qu’y trouvent les femmes qui veulent s’instruire. Aussi n’a-t-on pas attendu que les chambres eussent discuté et voté le projet de loi de M. Camille Sée. L’initiative privée a pris les devans, et à Paris s’ouvrira dans peu de jours, sous l’invocation bien choisie de Mme de Sévigné, un collège de filles, composé de huit classes, qui leur procurera à peu de chose près une instruction équivalente à celle que reçoivent les jeunes gens des lycées. Elles y apprendront avec les arts d’agrément et les langues modernes les rudimens de toutes les Sciences ; elles pourront même y acquérir quelque teinture de latin, quoique avec raison on ne prétende point les y contraindre. Il n’y aura pas d’internat dans le collège Sévigné, et nous en sommes charmé. Quant aux méthodes qui y seront employées, nous n’en savons rien encore. Nous connaissons des institutions analogues, fort prospères du reste, où l’usage des longues copies et des devoirs écrits est poussé jusqu’à l’abus, où la routine n’est pas assez corrigée par le bon sens ; mais nous ne voulons point nous engager dans cette discussion. Nous sommes convaincu que tout sera pour le mieux, et qu’avant d’arrêter leurs règlemens, les fondateurs ont relu l’Émile.

Règlemens, programmes et méthodes, quand tout serait parfait, il se trouvera toujours des gens pour censurer avec amertume l’enseignement secondaire et les collèges à l’usage des jeunes filles. — Passe encore, disent les uns, pour les langues modernes et un peu de littérature ; mais la physique, la chimie ! de quoi ces sciences leur serviront-elles ? A-t-on juré de les dépouiller de toutes leurs grâces ? — Nous admettons volontiers que la grâce est le premier devoir de la femme, qu’il faut l’obliger à la conserver par autorité de justice, que, si elle venait à la perdre, ce monde serait un triste monde. Mais Mme de Sévigné ne savait pas seulement l’espagnol et l’italien, elle avait appris le latin, et Dieu sait quel robuste pédant le lui avait enseigné. Elle était assez frottée de philosophie cartésienne, sinon « pour jouer elle-même, comme elle le