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Mais que vous importe ma confiance, et qu’en feriez-vous, dieux immortels ! Ah ! madame, vous m’autorisez à vous le rappeler, vous m’aviez promis d’être indiscrète et vous n’avez même pas été curieuse. Soyez du moins toujours indulgente, puisque l’indulgence est le seul de vos sentimens auquel j’aie des droits parfaitement évidens, et croyez, Daniel, croyez, noble et grand esprit, que votre indulgence m’est plus chère que bien des amitiés.

Laissez-moi le redire, Daniel, ce nom divin et sacré d’ami que j’ai lu tracé de votre main et qu’il n’est plus au pouvoir de personne d’effacer, c’est un acte solennel que d’écrire pour la première fois cette parole divine : « amitié. » Pour moi, je ne l’ai jamais fait sans une émotion profonde, un recueillement tout religieux. Je me sens en présence d’un mystère et de l’une des plus inflexibles lois de la nature humaine. Une fois prononcé entre deux êtres, même par l’indifférence ou la trahison, ce nom leur imprime un caractère indélébile. Il les unit malgré eux par un lien indissoluble, et si leur bouche a menti, cette solidarité devient un châtiment au lieu d’être une récompense. Ils peuvent briser la chaîne, mais non se délivrer de sa fatale étreinte. Ils en traîneront jusqu’à la mort les lourds tronçons à leurs pieds ensanglantés ; — ils ont été amis.


Peu de jours après, Lanfrey redouble encore cette chaleureuse protestation d’amitié.


Oui, ils t’aiment, Daniel, ils vous aiment, chère et noble amie, les cœurs épris de la justice et de la liberté, car en vous aimant c’est encore elles qu’ils aiment. Pour moi, je ne saurai jamais séparer votre nom de celui de ces œuvres divines. Elles vous ont récompensée en vous révélant votre génie et en vous faisant participer à ce charme tout-puissant qui est en elle. Elles ont mis sur votre front la sérénité des douleurs vaincues, dans votre regard le rayon de l’éternelle jeunesse, et dans toute votre personne cette harmonie vivante qui annonce un être maître de ses passions et de ses facultés, c’est-à-dire de sa destinée. Mais il y a en vous autre chose qu’une vertu et qu’une abstraction, et vous me permettrez de l’aimer plus vivement encore. Cette autre chose c’est vous-même, vous, âme exquise et charmante, vous, rare et grande nature, virile par l’intelligence, féminine par la grâce, la bonté, la délicatesse. Depuis que je vous connais, depuis que je vous aime, je me sens chaque jour devenir meilleur ; mes idées s’élèvent et des horizons nouveaux se découvrent devant moi. Il vous est facile de faire que cette œuvre ne reste pas inachevée ; laissez-vous de plus en plus connaître et de plus en plus aimer…