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et, en rentrant dans l’ancienne voie, nous sommes retombés dans l’ancienne ornière. Il faudra en sortir, mais avec grand’peine et grande précaution[1]. »

C’est précisément ce qu’on a voulu faire dans le nouveau plan d’études. Il a semblé à beaucoup de bons esprits, comme à M. Guizot, que cette fatigue, cette langueur des élèves vers la fin des études venait de ce que « l’enseignement était trop maigre et trop lent. » Si nous les trouvons alors si tièdes et si froids devant ces chefs-d’œuvre qui devraient les transporter, n’est-ce pas parce que nous leur versons l’antiquité à trop petite dose, et que nous les retenons trop longtemps sur les mêmes morceaux ? Ils sont admirables sans doute ; ils méritent d’être vus de près et commentés en détail ; nos pères prenaient un plaisir singulier à les savourer lentement, ils s’en faisaient l’application à eux-mêmes, ils étaient heureux d’en tirer des réflexions générales qui les ravissaient sur le caractère des hommes et la connaissance du monde. Par malheur, ce plaisir est devenu moins vif aujourd’hui. C’est le goût de l’histoire qui l’a remplacé ; il règne en maître dans toute la littérature, il est devenu la première passion de tous les esprits. Ces Grecs et ces Romains, dont on nous fait admirer les ouvrages, nous voulons les voir vivans et vivre avec eux. Pour connaître l’antiquité et la voir vivre, il ne suffit pas de relire sans cesse quelques fragmens détachés des grandes œuvres qui en contiennent l’esprit, il faut avoir lu des ouvrages entiers, ou du moins des parties entières d’ouvrages. C’est la méthode qui a si bien réussi à l’Allemagne et qui a conservé chez elle le goût des bonnes études ; c’est celle aussi qu’on a suivie chez nous jusque vers le milieu du XVIIe siècle, et qui a trempé les esprits vigoureux de la Renaissance. Nous devons y revenir ; c’est un point sur lequel tout le monde à peu près s’accorde. Mais pour que les élèves puissent lire davantage, il faut qu’ils arrivent à comprendre plus vite, et cette habitude ne s’acquiert pas sans quelque préparation. Il est nécessaire qu’on les accoutume à n’être plus dépaysés en présence d’un texte qu’ils ne connaissent pas, à se tirer aisément d’affaire tout seuls, et à se passer du dictionnaire, qui commence par être un secours et devient bientôt une servitude. On y arrive en rendant plus fréquent dans les classes l’exercice du thème oral et du thème instantané, pratique excellente que notre université n’a pas assez franchement accueillie et qui produit ailleurs d’excellens fruits. Elle force l’élève à marcher plus vite, elle le familiarise avec les mots et les tournures, elle donne à sa mémoire plus de ressources, plus de vivacité

  1. Cette citation est tirée du livre que vient de publier Mme de Witt sur son père, et qui est intitulé : M. Guisot dans sa famille et avec ses amis.