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10 juin 1779.

Je tousse toujours un peu, ma petite, mais j’aimerois bien que tu ne t’exagérasses rien, même en matière de sentimens. Tu sais qu’il faut toujours faire sa cour à cette bonne raison que j’aime tant, qui sert à tout, et qui ne nuit à rien. Il faut t’accoutumer de bonne heure à passer plusieurs journées de suite dans la solitude et dans l’occupation. Tu scais bien que loin de m’opposer à tes plaisirs innocens je les facilite, et cependant je suis intimement persuadée que quand on s’habitue aux amusemens au point de ne pouvoir s’en priver sans peine, on est dès lors dans un esclavage réel, et de plus incapable de rien de grand et même de rien de bien.

Sois tranquille sur la visite que tu as manquée ; j’aurois été charmée que tu fusses à Saint-Ouen, mais personne de cette société n’étoit allé là à ton intention ; c’étoit une partie faite à Saint-Denis, continuée chez le duc de Gèvres et prolongée chez toi par curiosité pour le jardin. Que parles-tu d’une visite dans l’année ? tu ne comptes donc pour quelque chose que celle des étrangers pour qui ton existence et ton bonheur sont des objets entièrement indifférens. La fin de ta lettre est plus tendre et plus raisonnable, et dans toutes ces disparates ma tendresse se flatte d’apercevoir les derniers soupirs de la déraison, et le bon cœur et le bon sens qui combattent contre elle et qui resteront vainqueurs ; c’est le vœu continuel de la plus tendre des mères.


11 juin 1779.

Je t’écris encore un mot, ma chère petite, afin de te calmer un peu dans ta solitude. Tu donnes une tournure assez adroite à toutes les petites sottises que tu m’avois dites. Mais l’œil pénétrant de la bonne maman, préfère la bonhomie d’un aveu, aux subterfuges de l’amour-propre. Quoi qu’il en soit, laissons là le passé et tachons de ne penser qu’à l’avenir, où j’aime à me flatter que tu me donneras beaucoup de satisfaction. Au reste, si tu veus que je ne croye point les expressions de ta tendresse exagérées, tu as un moyen plus facile et plus utile pour toi que tous ceux que la langue française peut te fournir ; tu n’as qu’à faire dans mon absence tout ce que mon affection me fait désirer pour ta santé physique et morale. Cet accord constant entre tes paroles et tes actions détruira tous les soupçons d’exagération, et je t’assure qu’alors tu pourras me dire les choses les plus vives et les plus douces, sans que je fasse d’autre reflexion que celle de mon bonheur.

J’irai te voir fort tard samedi ; prie Mlle B. de ne point arranger le bal avant de me parler. Adieu, mon cher enfant.