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titre de Castille et lui restituait sur les biens confisqués la somme de 20,000 pesos ; le titre de marquis de Villa-Sierra est passé aujourd’hui dans la maison de Mondragon y Acuña.


Telle fut la brillante et tragique destinée d’un homme qui, avec plus d’audace que de génie, plus de courage que de pruderice, osa saisir le pouvoir en un temps de minorité et entreprit de relever la monarchie espagnole de sa profonde décadence. Gentilhomme de petite naissance, n’ayant d’autre appui que l’amour ou le caprice d’une reine sans grand caractère, il osa, bravant de redoutables inimitiés, affronter, souvent humilier, l’altière et puissante aristocratie que l’histoire de l’Espagne montre constamment rebelle à l’autorité des favoris de ses rois. Haute et téméraire entreprise : un Richelieu lui-même s’y fût usé ; tant la force de résistance des grands de Castille était supérieure à la puissance de la noblesse française, même avec Condé à sa tête ; tant différait de l’organisation de la France la constitution de l’Espagne, avec les privilèges énormes de ses communes, de ses églises, de ses provinces, véritables forteresses servant de base d’opération à tout prétendant et à tout ambitieux résolu à tenter le renversement de l’autorité légitime. C’est l’histoire du passé ; c’était naguère encore celle du présent. Le seul cri de Contra fuero ! suffit à soulever la ville de Saragosse, en 1591, arracha Antonio Perez aux mains redoutables de Philippe II et, ce qui était peut-être plus difficile, aux prisons de l’inquisition.

Sans remonter jusqu’à Alvaro de Luna et aux souvenirs de l’échafaud de Valladolid, Valenzuela avait sous les yeux l’exemple récent de la chute du père Nithard, dont nul mieux que lui ne connaissait l’origine et les causes. Pouvait-il espérer réussir là où le ministre-confesseur avait si tristement échoué ? Il fut étourdi par la rapidité de sa fortune. Une tête plus ferme se serait contentée de la réalité du pouvoir. Il comptait de nombreux partisans dans les classes moyennes, des esprits impartiaux qui, rendant justice à son activité, à son intelligence, à la magnanimité de ses sentimens (il dédaigna toujours les calomnies et donna un emploi à un homme qui avait voulu l’assassiner), le jugeaient capable de soulager les maux de la monarchie et pleurèrent sur ses disgrâces. Il pouvait, il devait s’en tenir au rôle de premier ministre et justifier ce titre aux yeux de tous par la sagesse et les bienfaits de son administration. Comme le maréchal d’Ancre, avec lequel sa destinée a tant de rapports, « il voulut expérimenter jusqu’où pouvait aller la fortune d’un homme. » L’ancien page du duc de l’Infantado aspira à la grandesse, sa vanité le perdit. Sa femme, ses amis, qui sentaient le