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violent et grossier qui sont, paraît-il, le dernier mot de l’école du plein air; ici c’est une clarté douce, caressante, qui respecte le modelé, enveloppe toutes choses, imprègne les ombres de salutaires reflets, et donne avec une parfaite justesse le secret des reliefs honnêtement déterminés et des dégradations délicates. Elle est là, dans toute sa beauté, cette lumière bienfaisante, limpide, tamisée dans le ciel par les voiles légers que le soleil va dissiper devant lui, absorbée par les terrains, réfléchie par le flot paisible sur lequel tremble son sillage d’argent, affirmant ici par un plus vif éclat la grande ligne de séparation entre la mer et le ciel, pour la tenir plus loin indécise et laisser confondues ensemble ces deux immensités. Tous ces tons prochains, ces valeurs presque pareilles, ce dessin si loyalement suivi, cette silhouette doucement mouvementée, ces constructions très nettes, irréprochables dans les lignes comme dans les tons, cette facile succession des plans, tout cela procède de l’art le plus honnête et le plus élevé. En de telles représentations de la nature il n’est pas besoin de faire intervenir des élémens étrangers et des scènes ajoutées sous prétexte de poésie en pourraient compromettre la forte simplicité. Et cependant, quand on est capable de dessiner et de peindre, avec cette tournure et cet à-propos, une figure comme celle de ce berger mentonnais, ou bien comme ce Dante et ce Virgile que l’artiste nous avait montrés il y a deux ans « au milieu de la forêt obscure, » il nous semble que la tentation est grande d’évoquer dans les cadres qui leur conviennent quelques-unes de ces grandes inspirations de la poésie ou de la fable auxquelles se plaisait Corot. Avec M. Français, M. Zuber est un des rares paysagistes qui puissent aborder de tels sujets. Sans renoncer à ces simples données où il a su mettre tant d’élévation, peut-être cependant trouverait-il parfois quelque satisfaction à ne pas s’y borner. Nous lui soumettons humblement un désir que la distinction de son talent nous fait concevoir ; c’est parce qu’il nous a déjà beaucoup donné que nous attendons encore beaucoup de lui.

A côté de ces œuvres dont l’importance méritait d’être signalée, bien d’autres encore soutiennent au Salon la juste réputation de leurs auteurs. On aime toujours à retrouver les paysages de M. Lavieille, où la facture très nette s’accorde si heureusement avec la sincérité des impressions. Il y a bien du charme et du mouvement dans la Vue du Perche, avec son ciel vif et léger, et cette pluie subite et traversée de lumière qui fond sur ce riant pays semble y ajouter une gaîté de plus. Tout est calme et silencieux, au contraire, dans la rue de ce petit village de Normandie qu’il nous montre endormi sous les sereines clartés d’une Nuit d’octobre.