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était né de la révolution de juillet, qui en avait l’orgueil, qui en tenant tête aux oppositions, en combattant leurs excès, se rapprochait d’elles par l’origine et au fond n’était pas loin de partager quelques-uns de leurs instincts. Par goût, peut-être aussi par calcul, par un sentiment croissant de son importance, « il restait, c’est M. Guizot qui le dit, un peu inquiet de son alliance avec les doctrinaires, et quoique convaincu de la nécessité de leur concours, il prenait quelque soin pour rester et paraître non pas séparé d’eux, mais différent et distinct... »

Ces différences qui étaient dans la nature des hommes, les amis compromettans les aggravaient parfois. De jeunes doctrinaires du monde ou du parlement, croyant flatter leurs chefs, traitaient avec quelque dédain M. Thiers et ne retenaient pas les propos piquans. D’un autre côté, M. Thiers, lui aussi, avait ses amis, qui excitaient ses susceptibilités, qui croyaient à sa fortune et le pressaient de se dégager de ce qu’ils appelaient l’impopularité des doctrinaires. L’opposition, à son tour, ne manquait pas de profiter de tout. M. Odilon Barrot se plaisait un jour, en plein parlement, à représenter, à côté de M. Guizot, « qui a passé sa vie à exalter la légitimité, à maudire les douloureuses nécessités de notre révolution,., M. Thiers qui doit tout à cette révolution, qui a employé un vrai génie à en exalter les gloires,.. » M. Thiers qui se rattachait à la démocratie a par origine, par opinion, par essence... » La flatterie était habile et elle était un signe de plus.

A travers tout enfin, dans ce drame politique si compliqué et si animé, le roi lui-même avait son action et son rôle. Lié par sa jeunesse, par des traditions de famille, à une révolution et élevé au pouvoir souverain par une autre révolution, préparé par son éducation, par les diversités d’une carrière habilement conduite à se mesurer avec les épreuves de la vie, le roi Louis-Philippe semblait fait pour être le représentant couronné de la société libérale et bourgeoise qui l’avait élu. Il portait sur le trône, avec des mœurs pures, un esprit libre, de la sagacité, du courage, le goût des affaires, l’expérience pratique des choses. Il ne laissait pas d’allier à des dons supérieurs des préoccupations méticuleuses, les contradictions d’un prince tour à tour ressaisi par les velléités d’ancien régime et par les souvenirs révolutionnaires. Sincèrement attaché aux idées de 1789, aux institutions modernes, il les interprétait et les pratiquait à sa manière, avec un sentiment personnel agité et exubérant qui s’échappait parfois en saillies « plus piquantes que prudentes, » selon M. Guizot. Le roi Louis-Philippe était la première force du règne, il le sentait et il aimait à le faire sentir. Il ne souffrait qu’avec impatience, avec déplaisir, qu’on parlât toujours de la politique