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leur action comme ministres avec leurs discours d’opposition? L’indemnité de guerre à laquelle la Russie a droit n’est pas encore déterminée. La Russie s’est interdit de lui donner la forme d’une cession de territoire à son profit; mais ne pourrait-elle par une générosité intéressée, stipuler un agrandissement pour la Serbie ou le Monténégro aux dépens des territoires que l’Autriche occupe et dont elle convoite la possession définitive? Ne pourrait-elle stipuler l’indépendance de l’Herzégovine et de la Bosnie? Est-ce M. Gladstone qui pourrait avoir objection à cette demande, quand il a si souvent soutenu qu’il fallait faire de toutes les provinces de la Turquie une confédération d’états chrétiens et indépendans? Lord Hartington lui-même ne s’est-il pas laissé aller à donner à ce projet de confédération une approbation qu’il essaie maintenant de retirer? L’Angleterre pourrait-elle ne pas se prononcer contre une prolongation de l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine par l’Autriche, le jour où sa politique sera conduite par les hommes qui ont qualifié cette occupation de crime de lèse-nationalité?

La Russie est une puissance avisée et patiente qui ne voudra rien précipiter : elle laissera les nouveaux ministres anglais s’engager d’eux-mêmes dans une voie qui ne peut que servir ses desseins. Lord Hartington et lord Granville lui-même sont engagés sur deux questions de façon à ne pouvoir reculer: ils ont annoncé qu’ils exigeraient de la Turquie l’accomplissement immédiat de toutes les promesses faites aux chrétiens : ils doivent également lui imposer l’abandon de tout le territoire dont la Grèce demande la cession. Une pression énergique et un langage comminatoire succéderont aux ménagemens dont le cabinet Beaconsfield usait vis-à-vis de la Porte. Celle-ci résistera, et comme Serven-Pacha l’annonçait aussitôt après la signature des préliminaires d’Andrinople, elle reconnaîtra que son seul moyen de salut est de se jeter dans les bras de la Russie, qui ne dissimule ni son peu de sympathie pour les Grecs ni son indifférence pour leur agrandissement. L’ambassadeur de Russie pourra répéter aux ministres de la Porte ce que le général Ignatief leur disait à San-Stefano : « Vous voyez la confiance que l’on peut avoir dans l’Angleterre : tout arrive comme nous vous l’avions prédit. » Le retour des libéraux au pouvoir mettra fin à l’influence anglaise à Constantinople.

Si nous passons à la politique intérieure, nous devons signaler trois questions importantes sur lesquelles les chefs du parti libéral sont liés par des déclarations expresses et de date récente. Le ministère qui se retire avait présenté un bill qui apportait des changemens notables à la législation sur la propriété foncière. Ces changemens avaient pour objet de rendre plus facile, plus simple et moins onéreuse l’aliénation des immeubles : ils ne touchaient