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Le 4 mai, le roi Louis XVIII fit son entrée à Paris. Je m’étais placé avec le prince de Schwarzenberg à une fenêtre dans la rue Montmartre pour voir passer le cortège. Ce spectacle fit sur moi une impression pénible. Entre l’air sombre des soldats de la garde impériale qui précédaient et suivaient la voiture du roi, et l’air aimable que celui-ci s’était efforcé de prendre, il y avait un contraste qui semblait être l’image fidèle de ce qui se passait alors dans l’âme de la population. L’attitude de la foule dans les rues complétait cette image. Les sentimens les plus opposés se lisaient sur les visages ; ils éclataient dans le cri de : Vive le roi ! poussé par les royalistes, et ne se révélaient pas moins dans le morne silence des ennemis de la royauté. Je trouvais presque que le roi s’était trop hâté de répondre par des saluts à des manifestations aussi opposées.

Les trois souverains allèrent presque aussitôt faire leur visite au roi. Un peu plus tard, je me présentai moi-même aux Tuileries. Louis XVIII me reçut dans son cabinet. Dans le cours de la conversation, je ne pus m’empêcher de lui faire cette remarque que j’avais passé bien des heures avec Napoléon dans cette même pièce, assis au même bureau, entouré des mêmes meubles et des mêmes objets. « Et cependant, dis-je au roi, votre majesté à l’air d’être tout à fait chez elle. — Il faut avouer, répliqua le prince, que Napoléon était un bon locataire ; il m’a tout arrangé à la perfection. »

Je passai deux heures avec sa majesté, et je quittai les Tuileries en emportant de ma visite des impressions qui n’étaient nullement faites pour me rassurer sur l’avenir de la France. J’avais parlé au roi de la charte qui venait d’être publiée, des difficultés qui, selon moi, s’opposaient à son succès, de l’opinion publique, etc. J’avais pu me convaincre que le roi avait des vues bien arrêtées sur toutes ces questions, mais qu’elles différaient des miennes sur plus d’un point essentiel. Le temps a justifié, au delà même de ce que j’aurais désiré, celles qu’alors déjà je regardais comme les plus justes.

La question de savoir si le retour des Bourbons en France répondait aux vœux du pays a été diversement résolue. Pour moi, je n’hésite pas à affirmer que l’immense majorité de la population a vu revenir ses princes avec satisfaction. La cause de ce sentiment est tellement naturelle que cela devait arriver fatalement[1].

  1. En 1825, pendant mon séjour à Paris, où m’avait appelé un deuil de famille, je fus reçu par le roi Charles X. Après le dîner, nous parlâmes longuement du passé, et les lieux où nous nous trouvions me rappelèrent de bien vifs souvenirs. « Je me souviens, dis-je entre autres choses au roi, qu’un jour, en 1810, j’étais assis avec Napoléon dans ce même salon, à cette même place ; nous vînmes à parler des Bourbons, et il me dit : « Savez-vous pourquoi Louis XVIII n’est point assis ici en face de vous ? Ce n’est que parce que je m’y suis assis, moi. Tout autre n’aurait pas su s’y soutenir,