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second plénipotentiaire, n’avait pas été moins exact au rendez-vous. Le duc de Vicence (Caulaincourt), désigné comme premier plénipotentiaire, se faisait seul attendre. Il ne vint qu’après le jour fixé pour l’ouverture des négociations, et se rendit aussitôt chez moi. Je lui demandai de me remettre ses pleins pouvoirs ; il répondit qu’il les attendait encore, mais se déclara néanmoins prêt à prendre part aux conférences. Je lui répliquai que je ne les ouvrirais pas avant la remise des pleins pouvoirs. Il me pria de passer outre ; c’était, me disait-il, une simple question de forme. Je lui répétai que cela m’était impossible, et que je regardais comme un devoir d’éviter, jusqu’à l’arrivée des pleins pouvoirs pour les plénipotentiaires français, toute réunion qui pourrait avoir l’air d’une conférence. « L’empereur votre maître, lui dis-je, connaît trop bien les formalités à remplir pour n’avoir pas omis à dessein de conférer ses pleins pouvoirs à ses représentans. » Caulaincourt protesta qu’il n’en était pas, qu’il ne pouvait pas en être ainsi. « Ce n’est pas moi, ajouta-t-il, que l’empereur aurait choisi pour une mission équivoque. Il sait que sous de pareils auspices je ne l’aurais pas acceptée. » Je répétai encore une fois que les autres plénipotentiaires et moi nous étions décidés à refuser toute espèce de conférence si les formes diplomatiques n’étaient pas rigoureusement observées, d’autant plus qu’il y avait encore entre les plénipotentiaires des cours alliées d’une part, et Napoléon de l’autre, des divergences d’opinion sur la marche à suivre dans les négociations. Il ne restait plus que douze jours jusqu’au 10 août, terme extrême de la durée des négociations. Le temps s’écoula sans que les plénipotentiaires français eussent reçu leurs pouvoirs, et sans qu’il eût été question une seule fois de l’objet même des négociations.

Je fis préparer les passeports du comte de Narbonne comme ambassadeur à la cour impériale, et mis la dernière main au manifeste de l’empereur. Dans la nuit du 10 au 11 août, à l’heure même de minuit, je lançai ces documens ; en même temps je fis allumer les signaux qu’on tenait tout prêts, de Prague jusqu’à la frontière silésienne, pour annoncer que les négociations étaient rompues et que les armées alliées pouvaient franchir la frontière de Bohême. Dans la matinée du 12 arriva à Prague un courrier qui venait de Dresde pour apporter aux plénipotentiaires français leurs pleins pouvoirs. Aussitôt le duc de Vicence et le comte de Narbonne se rendirent chez moi. Je leur déclarai qu’il n’était plus possible de faire usage de ces pouvoirs, que le sort en était jeté, et que c’était aux armes qu’il appartiendrait encore une fois de décider du sort de l’Europe. — Cette fois cependant la partie était changée, et, comme la suite l’a prouvé, une part bien moins large avait été laissée aux caprices de la fortune.