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Thérèse de Gérard, des vierges de Raphaël, du Christ de la Cène de Léonard de Vinci, sans oublier celles des douze apôtres et d’une quantité considérable d’autres habitans du paradis chrétien. Le prince Tewfik ne risquait donc pas de contrebalancer à lui seul l’autorité des ministres anglais et français. Malheureusement pour le khédive, les puissances, alors très énergiques, refusèrent de laisser bouleverser le ministère; le ministre de la guerre qui avait réuni les officiers au Caire en fut seul exclu. Elles exigèrent même que leurs deux ministres eussent un droit de véto absolu sur toutes les résolutions que pourrait prendre sans leur consentement la majorité de leurs collègues. C’était leur donner en réalité un pouvoir supérieur à celui du khédive; mais Ismaïl-Pacha, qui se sentait vaincu sur le terrain des émeutes et qui se préparait à une nouvelle lutte sur un terrain meilleur, crut devoir céder tout ce qu’on lui demandait. Dans sa soumission apparente, il adhéra même avec éclat à une note comminatoire que lui avaient adressée la France et l’Angleterre et qui contenait des menaces telles que celle-ci : « Le khédive comprendra la responsabilité sérieuse qu’il a acceptée en provoquant de nouveaux arrangemens ministériels et la gravité des conséquences auxquelles il s’exposerait s’il ne savait pas en assurer la complète exécution. » Il promit « en toutes circonstances à son ministère le concours le plus loyal et le plus complet pour le fonctionnement du nouvel ordre de choses dont l’Egypte devait attendre le plus grand bien. » Il renouvela et sanctionna toutes ses déclarations antérieures avec l’apparence de la sincérité la plus absolue.


III.

Au moment même où le khédive semblait se résigner ainsi à accepter le régime européen, il préparait un nouveau plan de révolte mieux combiné que le premier et dont le succès, par conséquent, lui paraissait beaucoup moins douteux. Le bruit avait commencé à se répandre en Europe que le ministère anglo-français proposerait aux créanciers consolidés de l’Egypte une réduction provisoire du taux de l’intérêt de la dette et aux créanciers flottans un arrangement aussi équitable que possible, mais qui exigerait de la part de ces derniers d’inévitables sacrifices. Rien n’est plus intraitable que les intérêts. Lorsque les grands établissemens financiers de Paris, qui détiennent un nombre considérable de titres égyptiens, apprirent ce qui les attendait, leur irritation se manifesta par des signes non équivoques. Il était facile de s’entendre avec les petits capitalistes, lesquels, ayant acheté des fonds égyptiens dans des