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ont atteint un certain degré de perfection, ne peuvent plus que déchoir, languir et disparaître. Or il est certain que vers 1825 et 1830, et depuis longtemps, quoique l’on continuât d’en tirer des copies, la tragédie classique et la comédie de caractères étaient mortes. Mais il n’est pas moins certain que ni le drame romantique, ni la comédie qu’on désigne sous le nom de comédie de mœurs n’ont remplacé la comédie de caractères et la tragédie classique. La cause en est que, sous prétexte d’en unir une bonne fois avec la convention, le drame romantique et la comédie de mœurs ont débuté par se placer en pleine convention. Qui ne connaît l’exemple si souvent cité, parce qu’il est en effet remarquable et qu’il n’est personne qui ne puisse aisément le contrôler, de la tirade classique remplacée par le monologue romantique ? Le récit de Théramène, qui d’une exclamation à l’autre de Thésée ne comptait pas moins de soixante-douze vers, fatiguait l’attention ; on lui substitua donc le monologue de Frédéric Barberousse, en quelque cent vers, et celui de Charles-Quint, en cent soixante-huit. Mais le point n’est pas là. Voici la grande, l’irréparable erreur. La tragédie classique avait placé l’idéal de sa perfection dans l’expression de ces sentimens moyens que tout homme éprouve et reconnaît comme siens, mais qu’il n’est donné qu’à peu de privilégiés d’égaler et de traduire par l’éloquence de la parole ou le charme de la poésie : le drame romantique mit le sien dans l’expression des sentimens exceptionnels, hors nature et monstrueux. La tragédie classique avait cherché pour ainsi dire à placer sous les yeux du spectateur un miroir dans lequel il se retrouvât tout entier : le drame romantique s’efforça de rendre viables, ne fût-ce que pour quelques heures, pour la durée moyenne d’une soirée de théâtre, des types dont la difformité, tantôt physique et tantôt morale, provoquât l’étonnement public et l’admiration de la surprise. Le théâtre de M. Victor Hugo, comme celui d’Alexandre Dumas, est peuplé de ces types. On les a vus pendant plus de vingt ans se promener sur les planches ou plutôt s’y démener et les brûler avec leur allure de matamores épileptiques, drapés dans les haillons de César de Bazan ou faisait les grands bras d’Antony. La tragédie classique n’avait fait emploi de ce que l’on appelait alors les « mœurs » que comme d’un moyen de reculer dans la perspective du lointain poétique l’horreur naturelle du spectacle tragique : te drame romantique ne s’est servi de la a couleur locale » et n’a fait appel à l’histoire que pour dépayser le spectateur et lui faire accroire qu’au de la des Pyrénées ou des Alpes il se passait en effet des aventures aussi parfaitement invraisemblables que celles qu’il mettait au théâtre. Aussi les Romains de Corneille, les Grecs de Racine, les Français de Voltaire, oui, les Tancrède eux-mêmes et les Lusignan, sont-ils autrement vrais que les Espagnols et les Italiens de la scène romantique. Au