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C’est qu’en effet ce n’étaient pas les Anglais ; mais les boers qu’il visait, les jugeant plus faibles et pensant en venir à bout à meilleur compte. Il a été en partie cause de l’annexion du Transvaal en fomentant les révoltes des indigènes et en poussant un de leurs chefs les plus actifs, Secocoeni, contre le président Burgers. Lorsque le Transvaal a été annexé, Cetywayo s’est trouvé quelque peu pris dans ses propres pièges. Frustré de la proie qu’il convoitait, il a ouvertement jeté le masque et bravé la puissance qu’il avait jusqu’alors redouté de blesser. S’il a si brusquement ouvert les hostilités, c’est que l’annexion du Transvaal, tout en dérangeant ses plans, ne changeait rien au fond de ses projets longuement préparés et qui ne semblent rien moins que l’expulsion complète des blancs de la terre d’Afrique. C’est là certainement l’espoir qu’il a fait luire secrètement aux yeux des peuplades africaines et la pensée par laquelle il a essayé de les former en faisceau de résistance, car qu’il ait noué des intelligences avec les tribus jusqu’alors les plus hostiles à sa domination et qu’il s’en soit fait des alliés, les mouvemens singuliers qui ont suivi les récens désastres de l’armée anglaise ne permettent pas d’en douter. En un mot, on peut soupçonner sans hypothèse trop téméraire que Cetywayo a conçu le projet d’une délivrance du sol africain par une confédération noire fondée sur la communauté de race, tout comme s’il avait pris des leçons d’un disciple de M. de Cavour bu de M. de Bismarck, par où l’on voit que bien décidément l’unité est le mot du siècle et que ce mot est destiné à la même fortune que naguère ces vaudevilles de M. Scribe dont Théophile Gautier disait un jour si plaisamment : « On les jouera l’an prochain à Tombouctou. » Seulement la pièce politique est allée plus loin que Tombouctou, et la représentation en est faite et non à faire. Cette malfaisante influence occulte de Cetywayo explique parfaitement certaines singularités des dernières années ; par exemple on peut comprendre maintenant pourquoi les indigènes ouvriers aux champs de diamans employaient invariablement leur premier salaire à se munir d’une belle carabine ou d’un beau fusil du dernier modèle ; ils obéissaient sans doute aux mots d’ordre que Cetywayo faisait courir parmi les tribus et s’armaient sans bruit en prévision des luttes prochaines. Les noirs sont donc capables de carbonarisme et de nihilisme tout comme les Européens ? Eh, mon Dieu, oui, et aussi de vêpres siciliennes et de journées de Saint-Brice, comme l’histoire de Saint-Domingue et autres lieux ne l’a que trop démontré. M. Trollope a su démêler avec beaucoup de sagacité le caractère vrai de Cetywayo des rapports contradictoires qui lui étaient faits sur ce chef puissant, et pressentir quelque chose du danger qu’il allait faire courir à la colonie. Le personnage qu’il