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contre un galopin de dix-neuf ans, nommé Jean-Pierre Rouillac, qui le tua à bout portant. On pilla la maison ; 2,000 francs furent volés, deux cents bouteilles de vin furent vidées. On traîna le corps de Dubois sur le balcon ; on le plaça les jambes pendantes, les bras passés à travers les barreaux, la tête appuyée sur la balustrade. Puis on fit descendre la servante, on lui offrit une chaise, on la força de s’asseoir dans le jardin, en face du cadavre de son maître, qui bientôt servit de cible aux tessons de bouteille et aux coups de fusil. Il y avait là un enfant de treize ans, — ayant agi sans discernement, — qui essayait, avec un fusil trop lourd et trop long pour ses petits bras, de faire ses premières armes. Il n’y réussit qu’imparfaitement, car le recul brutal de son arme lui faisait un peu peur[1]. Le lendemain le corps de Dubois fut enfoui au fond du jardin par des fédérés, qui trouvaient plaisant de jeter dans la fosse les débris des bouteilles qu’ils avaient bues. C’est ainsi que le 101e bataillon préluda et se fit la main avant d’organiser une chasse en battue contre les dominicains d’Arcueil.

Est-ce donc l’effervescence du combat, la folie de la poudre, comme disent les Arabes, qui a entraîné ces hommes au meurtre ? lorsque la grande surexcitation a pris fin avec le combat, se sont-ils repentis ? Le lundi 28 mai, alors que la lutte est terminée, que les coupables se cachent, que les soldats exaspérés de tant de crimes ne font pas grâce, Rouillac, celui qui a porté le coup mortel, déjeune dans un petit restaurant situé rue du Pot-de-Fer, n° 13. On parle du massacre des dominicains ; il dit : « C’est mon bataillon qui a fait cela, j’y étais. » Puis, complaisamment, il raconte l’assassinat de Dubois : « J’ai grimpé l’escalier quatre à quatre, je lui ai flanqué un coup de fusil ; il y avait là des camarades ; mais je n’ai pas eu de chance, ce n’est pas moi qui ai mis la main sur le picaillon (l’argent). » Il était en veine de confidence : « A Neuilly, un jour, nous avons cassé la tête à un jardinier nommé Rouy, dans une belle maison. J’ai eu pour ma part un manche à gigot et d’autres objets en argent ; avant de partir, nous avons brûlé la baraque. » C’est peut-être là, après tout, le dernier mot de la commune ; les explications données par le jeune Rouillac sont très concluantes et fort claires. Elles sont supérieures aux divagations par lesquelles les défenseurs de cette sanie sanglante ont essayé de l’expliquer. Mettre la main sur le picaillon et voler le manche à gigot, c’est quelque chose, et, quoique cela soit insuffisant pour justifier la longueur de la révolte, ça aide à la faire comprendre.


MAXIME DE CAMP.

  1. 1 Procès Rouillac et Dumontel ; dêb. contr., quatorzième conseil de guerre, 15 mars 1872. — Procès Gougenot ; déb. contr., troisième conseil de guerre, 25 octobre 1877.