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aux fidèles « cette joyeuse nouvelle que le Seigneur était né une seconde fois ! » L’année d’après, la première imprimerie s’établit en Prusse ; l’esprit nouveau fit des progrès rapides ; des chevaliers même venaient s’asseoir au prêche, et le grand maître ne rencontra point de résistance sérieuse en Prusse quand, éclairé par son ambition autant que par la parole de Luther, il accomplit la sécularisation ; mais ce n’était point encore l’indépendance ; il fallut que le duc reçût l’investiture du roi de Pologne, et celui-ci, même après que les Hohenzollern de Brandebourg furent devenus ducs de Prusse, était plus qu’un suzerain ordinaire. Il exigeait que l’aigle noire du blason ducal, cette aigle jadis donnée par l’empereur Frédéric II au grand maître Hermann de Salza, et qui rappelait de si grands souvenirs, portât sur la poitrine la lettre initiale du nom du roi de Pologne. Il commandait si bien dans le duché, dont la noblesse lui était très attachée, qu’il y convoquait les diètes, sans l’agrément des ducs. Pour plaire à cette noblesse, demeurée étroitement luthérienne, il proscrivit le calvinisme en Prusse, quoique les électeurs-ducs fussent devenus calvinistes ; si bien que, lorsque mourut en 1640 le duc George-Guillaume, son fils fut obligé de demander à la cour polonaise la permission de le faire enterrer selon le rite calviniste ; mais ce fils était Frédéric-Guillaume, le grand électeur, c’est-à-dire le prince qui fonda l’état prussien moderne en détruisant l’esprit provincial dans ses territoires disséminés de la Vistule au Rhin. Après lui, Clèves, Brandebourg et Prusse devinrent les membres d’un seul corps, commandés par une seule tête. La Pologne, vaincue par lui, dut renoncer à la suzeraineté sur la Prusse, et quand le fils du grand électeur voulut se faire roi, son principal titre fut qu’il possédait hors de l’empire allemand un domaine où il n’avait d’autre suzerain que Dieu.

C’est ainsi qu’il fallut deux siècles pour qu’une partie de la terre teutonique fût réintégrée dans un état allemand ; mais deux tronçons demeuraient en des mains étrangères : les provinces orientales, c’est-à-dire l’antique domaine des chevaliers porte-glaives qui s’était détaché après les catastrophes du XVe siècle, pour se perdre peu à peu dans l’immense empire moscovite, et les provinces occidentales que la paix de Thorn avait attribuées à la Pologne. Celles-ci étaient devenues toutes polonaises. Danzig demeura une ville à peu près libre et qui s’illustra par la part qu’elle prit aux découvertes maritimes : elle ne regretta point les chevaliers et mérita que le roi lui permît de mettre sur son écusson la couronne royale. Le caractère allemand se perdit plus vite encore dans le reste du pays ; noms d’hommes et noms de villes devinrent polonais : Culm s’appela Chelmno et Marienbourg, Malborg. Les privilèges