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indépendans ! Au nom de quel principe l’état prétendrait-il conserver la haute main sur ses autres établissemens d’enseignement supérieur, et bientôt, par une conséquence fatale, sur ceux d’enseignement secondaire, lorsqu’il aurait constitué les facultés de Paris, ! de Lyon, de Marseille et de Bordeaux à l’état de corps autonomes ? Ces universités dans l’Université, ne tarderaient pas à ruiner tout le système. Si tel est le but que l’on poursuit, si c’est à l’Université qu’on en veut, soit ; on ne sera que logique en poussant à cette réforme. Si c’est au contraire dans son intérêt qu’on la réclame, si c’est un présent qu’on veut lui faire, on se trompe étrangement.

Les amis vraiment éclairés de l’Université ne demandent pas de si grands changemens. Ils ne désirent pas qu’on altère sa constitution primitive, et qu’on détruise son unité. Ils pensent seulement qu’au lieu d’éparpiller ses forces, elle devrait opérer sur elle-même un mouvement de concentration, qui lui permît d’opposer aux établissemens concurrens des groupes plus puissans et mieux outillés. Nous avons cinq ou six grandes villes en France dont on pourrait faire aisément des chefs-lieux universitaires. Il n’y faudrait qu’un peu d’argent et de résolution. L’argent, les chambres le donneront quand on le voudra, mais le gouvernement aura-t-il assez de fermeté pour vaincre la résistance des villes intéressées au maintien du statu quo ? A cet égard, il est permis de concevoir quelques doutes. En effet, sur ce point particulier, le langage, ailleurs si net et si franc, de la statistique est singulièrement obscur. On y sent un grand embarras et comme la crainte d’en trop dire. Manifestement le ministre est gêné sur ce terrain hérissé d’obstacles parlementaires ; il a dû subir de rudes assauts dans les couloirs du sénat et de la chambre des députés. Il ne conclut pas, ou du moins sa conclusion n’est que dilatoire. Il voudrait « laisser faire le temps, » il consentirait peut-être, un jour, « à admettre entre nos établissemens des différences de régime, » mais il « souhaiterait en même temps de ne pas faire descendre du rang qu’ils occupent des hommes qui ont honoré la science par leurs travaux. » Ces généralités peu compromettantes et ce langage conditionnel peuvent être à leur place dans un document officiel ; malheureusement ils n’indiquent pas que le gouvernement ait une doctrine et des idées bien arrêtées sur la question. Qu’a-t-il donc tant à craindre ? Personne ne songe à faire descendre nos professeurs de facultés. Bien au contraire, en créant cinq ou six groupes universitaires qui deviendraient nécessairement des résidences d’avancement, on offrirait à leur légitime ambition des perspectives d’avenir qui leur manquent aujourd’hui. Combien d’esprits distingués, créateurs, se sont engourdis, faute d’un théâtre et d’un public dignes d’eux, dans ce qu’un de nos maîtres appelait ingénieusement