Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à eux, que la prévoyance était une sottise ou une duperie. Lorsque les mauvais temps sont venus, on avait pris des habitudes de luxe qu’on ne pouvait plus satisfaire, et l’on avait perdu la volonté de faire les efforts nécessaires, pour maintenir la production à un certain niveau. Il en est résulté que l’industrie allemande a plus de peine qu’elle n’en aurait eu à un autre moment à retrouver son équilibre ; car la consommation intérieure et l’exportation ont diminué à la fois. Cet effet s’est aussi fait sentir dans d’autres pays, mais à un degré bien moindre, car nulle part le socialisme n’a fait autant de ravages qu’en Allemagne, nulle part la séparation entre le patron et l’ouvrier ne s’est creusée plus profonde.

C’est là une cause morale de souffrance ; mais il en est une autre d’un ordre tout différent, qu’on a également imputée, — du moins en grande partie, — à l’Allemagne. Il s’agit de la dépréciation de l’argent. Des hommes très compétens, comme M. Sœtheer, soutiennent qu’on exagère l’influence des 2 500 000 kilogrammes de lingots d’argent que l’empire allemand a jetés sur le marché ; selon lui, l’union latine pèse d’un poids bien plus lourd dans la balance du système monétaire[1], car dans la période 1873 à 1876 la France et ses alliés ont frappé pour 600 millions de francs de pièces d’argent, et pour cette somme ils ont dû absorber 3 millions de kilogrammes de métal, de sorte que leur abstention depuis deux ans doit se faire bien plus sérieusement sentir que la démonétisation allemande. L’action de l’union latine est incontestable ; il n’en est pas moins vrai que l’Allemagne, en entreprenant peu de temps après le déplacement des 5 milliards la substitution d’une monnaie d’or à la monnaie d’argent, en même temps que la réforme des banques et le retrait d’une partie de la circulation fiduciaire, a rendu plus profonde la perturbation que chacune de ces opérations isolées devait produire sur le marché monétaire, surtout en se combinant avec ; une crise causée par l’excès de production et un mouvement de spéculation outrée.

C’est en Angleterre que le contre-coup de la réforme monétaire s’est fait le plus vivement sentir. Londres est le grand marché des métaux précieux ; si l’Inde ou la Chine demandent moins d’argent, si la Californie et L’Australie envoient plus d’or, si l’Allemagne ou les États-Unis attirent les ! métaux précieux, c’est la cote de Lombard street qui en est la première affectée. Un éminent publiciste anglais, M. Giffen, qui a fait des mouvemens du marché

  1. Quantités de monnaies circulant en France et en Allemagne vers la fin de 1878 :
    France Allemagne
    Monnaies d’or 5,000 millions 1,937,5 millions
    Monnaies d’argent 2,880 587,5
    Monnaies divisionnaires 120 533,7
    8,000 3,058,7