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pour purifier la contrée. On les mit dans une barque bien équipée, abondamment pourvue de vivres, et on leur prescrivit de se diriger toujours vers le midi. Ils partirent couronnés de fleurs, après des sacrifices pompeux, et accompagnés des vœux du peuplé. Pendant quatre mois ils luttèrent contre les flots et se trouvèrent enfin en présence d’une île Rohde de 5,000 stades de tour. Ici commencent des descriptions tout à fait merveilleuses. Le pays produit des fruits savoureux qui ne se retrouvent pas ailleurs ; il contient des animaux qu’on n’a jamais vus, des serpens d’une taille énorme, qui ne font de mal à personne et qui sont excellens à manger, des espèces de tortues gigantesques, qui ont quatre yeux, quatre bouches, des pieds disposés en cercle pour marcher dans toutes les directions. Mais de tous les êtres qui habitent cette île, le plus surprenant c’est l’homme, qui n’est composé que de nerfs sans os, ce qui donne à tous ses membres une admirable élasticité, et qui possède deux langues qui lui permettent de faire la conversation avec deux personnes à la fois. Le reste du récit est de la même force : aussi le livre de Iambulus jouissait-il d’une grande réputation auprès des amateurs de prodiges, et nous voyons qu’on le lisait et qu’où l’admirait encore du temps de Lucien.

Ce qui donna plus d’autorité à ce genre de littérature, c’est que les gens sages, ou réputés tels, ne dédaignèrent pas de s’y adonner. Au lieu de redresser l’opinion publique, comme c’était leur devoir, ils flattèrent ses goûts et eurent l’idée de profiter, pour le succès de leurs ouvrages les plus sérieux, de la vogue qui s’attachait à ces récits futiles de voyages et de découvertes. Platon lui-même, le divin Platon, se mit de la partie. On sait que le merveilleux ne lui déplaisait pas et que son esprit, qui flottait entre la métaphysique et la poésie, se servait de mythes et de légendes autant que de raisonnemens rigoureux pour développer ses idées. C’est ainsi qu’il imagina de décrire l’Atlantide, cette île admirable, située au delà des colonnes d’Hercule, habitée par des peuples heureux et sages qui ont deviné et qui appliquent d’avance les principes de sa république idéale. Le moyen qu’il emploie pour donner une apparence de vie et de réalité aux chimères qu’il invente est très simple, et il a été depuis fort souvent imité. Il consiste à décrire tous ces objets fantastiques avec une précision de détails qui fait illusion. Il vous dira, sans vous faire grâce d’une fraction, le nombre de stades que contient dans tous les sens cette île imaginaire ; il dépeint, comme un géographe scrupuleux, la direction des canaux qui l’arrosent ; il mesure la hauteur des digues immenses qui la protègent, et décrit la forme et la couleur des pierres dont elles sont composées. Devant cette exactitude minutieuse l’esprit le plus prévenu hésite,