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la couche de verglas ne prend aucune épaisseur et n’a pas de durée sur les feuilles et les petits rameaux. Elle ne peut s’accumuler et se prolonger que sur le sol, qui seul a fait une grande provision de froid. Là se fait un vrai verglas, dangereux sur les pavés et les routes ; mais il épargne les arbres et n’est pas coupable des désastres que nous savons.

Le verglas du mois dernier ne rentre dans aucune de ces catégories et ne peut s’expliquer par aucune des causes invoquées jusqu’à présent. Il fallait en chercher d’autres ; c’est ce que MM. Masse et Godefroy viennent de faire. Ils affirment qu’il a été produit par une pluie froide, tenue en état de surfusion à une température de — 4°. Nous allons voir si cette nouvelle explication est conforme aux faits. Cherchons d’abord si une pareille pluie est possible.

De Saussure a remarqué le premier que les brouillards des Alpes arrivent quelquefois à de très basses températures sans se congeler. Il en est de même pour les brumes épaisses qu’on rencontre habituellement dans les mers du nord. Il faut donc reconnaître que l’eau s’y maintient surfondue. A la vérité, Saussure et tous les physiciens de son temps croyaient que dans les brouillards elle est à un état tout particulier de vésicules creuses, et que cet état les dispose à retarder la congélation. On avait imaginé ces vésicules pour expliquer la suspension des nuages au milieu de l’air malgré la pesanteur qui tend à les faire tomber ; mais c’était la plus gratuite des hypothèses, et la plus invraisemblable au point de vue mécanique, car il n’y a pas la moindre probabilité ni la moindre raison pour que la vapeur en se condensant tout à coup s’arrange en un petit ballon creux. C’est aussi la plus inutile, car elle ne lève point la difficulté. Non, les particules des nuages ne sont pas creuses, elles sont pleines et de forme sphérique, elles se soutiennent à cause de leur petitesse, comme les poussières, la fumée et tout ce monde de corpuscules qu’un rayon de soleil illumine dans la chambre obscure.

Les sphéroïdes des brouillards ne sont donc point dans un état extraordinaire, ce sont de vraies gouttes, à la vérité fort petites et soumises comme les plus grosses à la possibilité d’une surfusion quand elles sont froides. Il faut bien qu’il en soit ainsi, car si elles se gelaient exactement à zéro, il n’y aurait jamais de brouillards par les temps froids ; ils disparaîtraient à la moindre gelée ; à leur place on verrait flotter des aiguilles de glace, et le soleil se montrerait plus souvent en hiver qu’en été, ce qui n’est pas le cas. Fournet, qui fût professeur à la faculté de Lyon, s’occupait de cette question vers 1856 et mesurait avec soin la température des brouillards d’hiver. Ils ne gèlent jamais avant — 14° ou — 15°, jusque-là