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vail quand, par bonheur, le consul de France, M. Tastu, entra dans la boutique. Sans être archéologue, notre agent soupçonna la valeur de cette pièce hors ligne ; il l’acquit au poids du métal, et ce fut de lui que la reçut M. de Saulcy.

Vers le même temps, M. Péretié, aujourd’hui premier drogman du consulat de France à Beyrouth, fit dans l’île plusieurs excursions qui furent très profitables à la science. Ce n’est pas un érudit ; mais il habite la Syrie et il y recueille des antiquités depuis près de quarante ans ; il est donc devenu, par cette longue pratique, un connaisseur de premier ordre. C’est à lui, c’est à son habitude de la langue et du pays, à ses relations étendues, à son infatigable activité, à son tact et à son flair, que nous devons quelques-uns des plus précieux monumens orientaux que renferment les collections publiques et privées de l’Occident. C’est lui qui a découvert, c’est la munificence du duc de Luynes qui a fait entrer au Louvre le fameux sarcophage d’Echmounazar, roi de Sidon, qui est l’honneur de notre musée phénicien. Ce fut de même par M. Péretié que le duc de Luynes reçut, en 1850, un monument qui, dans son genre, n’est guère moins célèbre parmi les philologues : nous voulons parler de cette plaque de bronze qui est connue sous le nom de tablette de Dali parce qu’elle a été trouvée tout près de ce village, parmi de nombreux débris de toute sorte, tels que fers de flèches, fragmens de casques, pointes de lances où sont gravés des caractères phéniciens. Celle tablette porte sur ses deux faces trente et une lignes d’une écriture serrée et parfaitement lisible ; les caractères vont de droite à gauche. Ross avait déjà transcrit plusieurs inscriptions écrites avec le même alphabet ; mais il avait pris celui-ci pour une variété de l’alphabet phénicien. Le duc de Luynes s’avisa le premier de comparer ces textes gravés sur pierre aux légendes de toute une série de médailles dont la provenance cypriote paraissait bien établie ; il démontra, par ce rapprochement, que ce système de signes appartenait en propre à l’île de Cypre, qu’il ne paraissait pas avoir jamais été employé hors de ses limites ; de là le nom d’alphabet cypriote, qui est entré dans l’usage depuis que cette preuve a été faite[1]. Quant à dire quelle langue représentaient ces caractères et s’ils avaient servi à noter les sons d’un seul idiome ou de plusieurs, c’était une autre question, à laquelle la science ne devait être en mesure de répondre qu’une vingtaine d’années plus tard. Le duc de Luynes tenta bien d’ébaucher le déchiffrement, mais il ne devina juste que pour une

  1. L’ouvrage de M. de Luynes, qui marque une date importante dans l’histoire de ces recherches, forme un volume in-folio accompagné de douze planches. Il est intitulé : Numismatique et inscriptions cypriotes (Pars, 1852).