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de France soit diminuée de moitié, ces trois mois ont dû lui paraître bien longs, car elle ne put pas pendant ce temps aller au spectacle, comme nous l’apprend le journal de Dangeau. Elle aimait le théâtre par-dessus tout. Elle est restée Allemande pour tout, sauf pour le théâtre. « Les divertissemens allemands, je l’avoue, sont plus de mon goût, dit-elle, à l’exception des comédies. » Mais ce goût avait pris naissance à Heidelberg. Son père, fils d’Elisabeth Stuart, aimait beaucoup Shakspeare, et son frère Charles avait avec ses amis organisé un théâtre d’amateurs, et, à entendre Madame presque septuagénaire se délecter à ses souvenirs de jeunesse, on voit clairement combien ce goût chez elle a dû être vif. Elle se rappelle la distribution des rôles dans les comédies représentées au château des comtes palatins, car toutes les pièces indistinctement sont pour elles des comédies. « Schutz ne jouait pas seulement Tibère dans la comédie de Séjan, il donnait aussi Tibère dans le Pastor Fido, » et ainsi de suite pour une vingtaine de rôles. « Je vois tout cela comme si c’était d’hier… Les comédies m’ont de tout temps plu beaucoup trop pour que je les aie oubliées ; pour tout le reste, j’ai bien mauvaise mémoire. »

Elle n’a pas davantage oublié les bouffonneries hollandaises. Jeune fille, elle avait été à Amsterdam, et, à en juger par le nombre de fois qu’elle cite Pickelhaering, elle s’est amusée beaucoup des facéties du personnage comique qui joue le principal rôle dans les farces populaires des pêcheurs de harengs. Une fois à la cour de Versailles et à Paris, elle ne dédaigne pas non plus la comédie burlesque, et Crispin est aussi souvent mentionné dans ses lettres que son confrère des Pays-Bas.

Ce qui ne veut pas dire qu’elle dédaigne la haute comédie et la tragédie du grand siècle. Elle se souvient « de la grande raison de sans dot » de l’Avare, de M. Jourdain qui fait de la prose sans le savoir. Elle aime Tartuffe et le Misanthrope. Corneille lui est familier ; elle cite de ses vers. « La reine de Sicile m’écrit qu’Albéroni a indignement trompé le roi son époux ; mais beaucoup de gens s’imaginent qu’ils s’entendent fort bien. Le temps se chargera de nous montrer de quel côté est la vérité. Cela m’a rappelé le début de la comédie la Mort de Pompée :

Le destin se déclare, et nous venons d’entendre
Ce qu’il a décidé du beau-père et du gendre.

« L’électeur palatin a accepté une succession bien embarrassée, il pourrait dire comme Auguste dans la comédie de Cinna :

L’ambition déplaît quand elle est assouvie… »