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rames, de toute la vitesse d’un sillage poussé à outrance, les trières alliées fondent sur les Athéniens qui leur présentent le flanc. Des vingt vaisseaux d’Athènes, les onze qui marchent en tête demeurent toutefois, par un heureux hasard, en dehors de cette conversion. Les Péloponésiens s’y sont pris trop tard ; leur amiral a manqué de coup d’œil ; neuf vaisseaux seulement ont été coupés. En un instant la flotte des alliés enveloppe cette division surprise, l’envahit ou la pousse à terre. Des soldats messéniens, ennemis invétérés de Sparte, auxiliaires fidèles et dévoués d’Athènes, s’étaient, à toute éventualité, rapprochés du rivage ; ils accourent, entrent tout armés dans la mer, gravissent le flanc des navires que l’ennemi s’efforçait d’emmener à la remorque et enlèvent ainsi aux Spartiates quelques-uns des trophées de la journée. Le gros de la flotte alliée n’était plus là pour s’opposer à cet assaut hardi ; Cnémos ne s’occupait alors que d’achever sa victoire. Il poursuivait à toutes rames les onze vaisseaux qui fuyaient vers Naupacte. Déjà dix de ces vaisseaux se sont réunis et groupés sur la rade ; la garnison, du haut de ses remparts, sera-t-elle assez forte pour les protéger ? En tout cas on ne les enlèvera pas sans combat. Les Péloponésiens arrivent en désordre. Une flotte qui triomphe ne songe guère à garder ses rangs. Chacun veut avoir sa palme, chacun brûle de porter le premier coup à l’ennemi. Le péan couvre la voix des céleustes ; ce n’est qu’un hourrah joyeux et féroce dans toute la baie, qu’une joute de vitesse entre les rameurs. Dans cette joute, un vaisseau de Leucade a devancé tous les autres ; il serre de près le onzième vaisseau athénien, celui qu’une marche trop lente a laissé en arrière. L’épervier se hâte trop d’aiguiser son bec ; il y a loin parfois à la guerre de la coupe aux lèvres. Gaston de Foix a rencontré au milieu de son triomphe l’espadon d’un hoplite espagnol. Timocrate, — c’est ce conseiller de Cnémos qui monte et dirige le vaisseau de Leucade, — Timocrate a tort de se lancer ainsi à corps perdu sur un vaisseau d’Athènes.

Une hourque marchande se trouvait en ce moment mouillée sur la rade de Naupacte. L’Athénien s’en fait habilement un bouclier. L’amiral de Sparte le cherche des yeux et ne l’aperçoit plus. Alerte, Timocrate ! l’Athénien reparaît ; il a fait le tour de la hourque. D’un coup inattendu, porté par le travers, ce fuyard ouvre au flanc du vaisseau de Leucade une blessure qu’on n’étanchera pas. L’eau entre à flots par la plaie béante. En quelques minutes les vaisseaux que la trière imprudente a devancés la voient couler sur place. Timocrate ne veut pas survivre à son navire ; il se tue au moment où le tillac s’enfonce, envahi par la mer. La vague jeta le lendemain son cadavre sanglant dans le port de Naupacte ; ce fut là qu’on le recueillit et qu’on put lui rendre les honneurs suprêmes.

Les Spartiates ne venaient pas seulement de perdre un vaisseau