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Au temps d’Euripide et d’Aristophane, le Bacchus phrygien, Sabazius, faisait pour s’introduire dans la ville un effort auquel le poète comique crut nécessaire de s’opposer. Il ne paraît pas qu’il ait réussi à répandre ses mystères ailleurs que parmi la classe populaire ni à les élever bien haut dans l’estime publique. C’est ce qui ressort d’un des passages où Démosthène représente la jeunesse misérable d’Eschine : « Quand ta mère officiait, tu lui lisais les livres et l’aidais dans ses pratiques. La nuit, tu revêtais les initiés de la nébride, puisais pour eux le vin dans le cratère, les purifiais, les frottais avec l’argile et la farine, puis les relevais en leur faisant répéter : J’ai fui le mal, j’ai trouvé le mieux… Le jour, tu conduisais à travers les rues ces beaux thiases, couronné de fenouil et de peuplier blanc, serrant dans tes mains les serpens et les balançant au-dessus de ta tête en criant : Evoi Saboi ! ou, comme accompagnement de tes danses : Hyès Attès ! Attès Hyès ! Les vieilles femmes te donnaient les noms d’initiateur, de guide sacré, de cistophore (porteur de la corbeille mystique), de licnophore (porteur du van mystique), et tu recevais pour salaire toute sorte de gâteaux grossiers. »

Ailleurs, Démosthène rapprochait méchamment Glaucothée, la mère d’Eschine, d’une autre prêtresse de Sabazius, une certaine Ninus, qui avait été condamnée à mort pour avoir joint à cette fonction un commerce occulte de philtres et de poisons. Quelle que soit contre Eschine la valeur d’un témoignage où la jeunesse de l’orateur est dépeinte longtemps après par la haine d’un ennemi, les détails du tableau sont précieux à recueillir. On y voit ce qu’étaient à la date du procès de la Couronne, c’est-à-dire dans la dernière partie du ive siècle avant Jésus-Christ, les mystères de Sabazius avec leur prêtresse et leur prêtre de rencontre, leurs rites, leurs formules, enfin les jongleries qui recrutaient parmi les adeptes de bas étage les confréries ou thiases du dieu phrygien. Tout cela ressemblait assez à ce que commençaient à faire, environ un siècle auparavant, les métragyrtes ou prêtres mendians de Cybèle, et les orphéotélestes ou initiateurs du Thrace Orphée, qui exploitaient de même la crédulité athénienne en vendant des recettes de bonheur pour la vie terrestre et la vie future. À cette époque, les mystères de Sabazius menaçaient sans doute de prendre dans la cité une place plus importante. C’est pour cela qu’Aristophane les attaqua. Dans sa pièce des Heures, nous savons qu’il faisait bannir par sentence le dieu phrygien, « le bruyant joueur de flûte, » avec d’autres divinités étrangères dont le culte nocturne était de même favorable à la licence des mœurs. Alors aussi, au témoignage d’Aristophane, se répandait la croyance à l’efficacité du traitement des maladies