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Voilà pour l’éloge. M. Rocquain ne se propose rien moins en effet que de prouver « que le mouvement d’opinion d’où sortit la révolution ne date pas des philosophes. » C’est la première ligne de sa préface. Quant à la critique, nous reprocherions volontiers à ce gros livre de n’être pas toujours d’une lecture facile, — trop de faits, trop de citations, trop de notes, — mais nous résisterons à la tentation. Il faut, dit-on, être de son temps : c’est ici la méthode historique nouvelle qui remplacera désormais la méthode, à ce qu’il paraît, insuffisante et surannée, des Guizot, des Thierry, des Mignet!

Est-ce aussi par excès de déférence aux lois de cette même méthode nouvelle que M. Rocquain se défend si vivement de « soutenir une thèse? » En effet, la jeune école a banni du sanctuaire de l’histoire jusqu’à l’ombre des idées générales. Le triomphe qu’elle rêve serait de réduire l’historien au rôle assurément utile, mais évidemment inférieur, d’assembleur de dates et de compilateur de faits. Un illustre doctrinaire prétendait, lui, qu’il n’y a rien d’aussi méprisable qu’un fait. Il allait un peu loin. Toujours est-il que du fait en histoire, aussi bien que du chiffre en économie politique, il y a manière de se servir, et, comme dit un personnage de Beaumarchais : « Nous avons des gens d’une adresse!.. » L’illusion de l’historien qui se flatterait de « reproduire le passé » ne serait pas moins vaine que l’illusion de ce peintre ou de ce romancier réaliste, qui, de la meilleure foi du monde, s’imaginaient que le Ventre de Paris ou les Demoiselles de la Seine reproduisaient la nature. Mais ils ne reproduisaient que leur manière de voir, qui n’était pas la bonne. M. Rocquain a manié trop de textes, il en a fait un trop habile usage pour ne pas savoir mieux que nous qu’il n’est thèse à l’appui de laquelle on ne découvre un document dans la poussière des archives et qu’il n’est rien qu’on ne puisse prouver en histoire, — avec des faits, — en s’y prenant bien. Il aura donc beau dire : c’est une thèse qu’il soutient, une thèse hardie, comme on va voir et, fût-ce au risque de le compromettre, nous l’en félicitons d’abord.

On a cru pendant longtemps que l’esprit philosophique du XVIIIe siècle et l’esprit révolutionnaire ne faisaient qu’un. A tout prendre, on le croit encore, puisqu’on célébrait bruyamment, il n’y a pas six mois, le centenaire de Voltaire et de Rousseau, réconciliés inopinément dans la mort par la confiante admiration de tous ceux qui ne les ont pas lus. On continue même de le célébrer, si l’écho n’en a pas menti, dans ces concerts populaires où retentissait jadis..., mais pourquoi troublerais-je le repos de ces morts fameux en leur apprenant quels refrains étranges le bruit de leur nom a remplacés? Donc, tous nos historiens, sans acception de parti, nous représentaient unanimement les Montesquieu, les Voltaire, les Diderot,