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désastreux de notre imprévoyance et de donner le change, momentanément du moins, à l’opinion publique. On put croire encore à notre puissance et à notre ascendant moral.

M. Drouyn de Lhuys ne crut pas devoir abandonner la direction des affaires à ceux qui avaient combattu et fait échouer son programme. Sur les instances de l’empereur, qui avait gardé un goût marqué pour sa personne, il resta au pouvoir avec la secrète espérance de réparer par l’habileté de sa diplomatie l’échec qu’il venait d’éprouver. Les instructions qu’il adressa à M. Benedetti s’écartaient sensiblement de celles qu’il avait soumises le 5 juillet au conseil des ministres, sous la première impression de la bataille de Sadowa. Notre ambassadeur devait rejoindre le quartier général, non plus pour intervenir avec l’autorité et l’assurance que nous aurait données une armée de 300,000 hommes, prête à s’ébranler au premier refus, mais pour recommander la modération au vainqueur, et l’arrêter dans sa marche par la persuasion.

Il n’avait pas mission, bien entendu, de formuler des demandes de compensation, car il en était même à ignorer les conditions de la paix. C’est avec le comte de Goltz, témoin de nos irrésolutions, qu’on entendait traiter. Au lieu de concerter et d’arrêter un plan que notre ambassadeur, en contact direct avec le roi et son ministre, aurait pu faire prévaloir selon les circonstances et suivant les dispositions qu’il eût rencontrées, on préféra débattre les conditions de la paix à Paris avec un diplomate qui, merveilleusement renseigné sur notre force de résistance morale et militaire, nous endormait en se portant garant de promesses fallacieuses. Cependant le temps marchait, et les heures si précieuses pour l’action, dépensées en pourparlers infructueux, devaient fatalement nous conduire au bout de quelques semaines à la douloureuse alternative ou de faire la guerre après en avoir laissé échapper le moment, ou de renoncer à des revendications consacrées par des déclarations solennelles.

Sans doute, l’empereur était encore l’arbitre écouté, car de ses résolutions allait dépendre le sort de l’Europe. Par la force des choses, Paris était le centre où venaient converger les informations, et s’exercer l’action diplomatique des puissances belligérantes. Mais les communications avec le quartier général n’étaient ni rapides ni faciles, et l’on s’exposait à de fâcheux mécomptes en prenant des déterminations sur des renseignemens d’une sincérité douteuse. Mieux eût valu envoyer des instructions à notre ambassadeur qui se trouvait sur les lieux, à portée de Vienne, et s’en remettre à son initiative et à son habileté pour sauvegarder les intérêts de notre politique.

Le 9 juillet, M. Benedetti recevait l’ordre de se rendre sur-le-champ