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temps, un des plus puissans orateurs parlementaires, un chef de gouvernement dans l’orage, le promoteur inspiré de la seule république possible, ce jour-là, il paraît qu’il ne s’agissait que d’une fête mâconnaise! M. le maire et M. le préfet suffisaient pour faire les honneurs. Il n’y a eu aucun membre du gouvernement, pas même un sous-secrétaire d’état. Les assemblées, sénat et chambre des députés, n’ont pas eu l’idée de se faire représenter. M. Gambetta, trop occupé, s’est excusé; tout le monde s’est excusé! Chose plus bizarre encore, l’Académie française elle-même a été absente. Elle avait, il est vrai, chargé M. Victor de Laprade d’aller parler en son nom; malheureusement, M. de Laprade, depuis longtemps valétudinaire, s’est trouvé dans l’impossibilité d’aller à Mâcon, et l’Académie a tiré sa révérence à Lamartine, elle s’était mise en règle, elle n’avait plus personne à envoyer. Voilà comment on procède! C’est, dit-on, la faute du conseil municipal de Mâcon, qui n’a pas été un habile maître des cérémonies, qui n’a su ni choisir un moment favorable, ni faire les invitations. C’est possible, quoique l’excuse ne lût pas bonne pour tout le monde. Il n’est pas moins singulier que tout se soit ainsi passé dans une circonstance où un hommage public au plus brillant des hommes pouvait avoir sa signification généreuse. Ce qui serait plus triste, plus humiliant encore, ce serait que cette abstention générale, cette sorte de défection organisée cachât ou des ressentimens de partis, ou la crainte de se compromettre par des discours, ou une froideur vulgaire pour une gloire nationale. Si c’est le hasard qui a tout fait, c’est un hasard malheureux ; s’il y a eu autre chose, ce n’est pas Lamartine qui peut en souffrir.

Et puisqu’il s’agit de ces hommages dus à de grands serviteurs du pays, puisque nous en sommes aux incidens qui se mêlent parfois à ces manifestations du sentiment public, est-ce que le nom de M. Thiers lui-même ne vient pas d’être ballotté de la belle façon? On peut se rassurer sans doute, la mémoire de l’ancien président de la république sera honorée comme elle doit l’être par le service qui va être célébré dans trois jours à Notre-Dame, et un monument sera élevé à Saint-Germain. Il n’est pas moins vrai qu’il n’y aurait point de monument à Saint-Germain, si on écoutait M. Maurice Richard, conseiller général de Seine-et-Oise, qui ne veut pas absolument que M. Thiers soit un grand homme, — et peu s’en est fallu que l’ombre de l’ancien président de la république ne fût privée de la présence de délégués marseillais à Notre-Dame. L’ombre de M. Thiers a échappé à cette terrible humiliation, le conseil municipal a fini par se décider à se faire représenter au service d’anniversaire; mais ce n’est pas sans peine, ce n’est pas sans une longue et orageuse discussion qu’on en est venu à bout : il a fallu un vote solennel et motivé pour savoir, d’abord si on enverrait des délégués, puis si ces délégués seraient envoyés aux frais de la ville.

Ils sont bien étranges, ces conseillers municipaux de la bonne ville