Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/238

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par cette improvisation hâtive qui se répandait en toute sorte d’œuvres, sans mesure et sans choix; mais, le grand prodigue, il n’a pas réussi à épuiser ses dons. Ce qui a toujours fait et ce qui restera l’originalité de Lamartine, c’est une sorte de fécondité spontanée, la puissance du souffle, la magie du langage. La parole, les sons, les images, semblent s’épancher de ses lèvres comme d’une source intarissable, et au milieu même de ses derniers abandons, jusque dans les œuvres de son déclin, dans ces Entretiens dont il faisait un répertoire universel, il y a des pages merveilleuses. Il rajeunit tout, le cadre d’une scène, les impressions, les souvenirs. Qui ne se rappelle ces récits d’une lecture d’Homère au milieu des soins de la maison de famille, ou d’une lecture de l’Arioste dans une villa des bords de l’Adriatique? Homme, il a eu certainement d’autres faiblesses, des oublis, des mouvemens d’un égoïsme naïf. Il n’a pas su conduire ses affaires, lui qui avait la fatuité d’être un économiste et un financier de premier ordre! Mais, à travers tout, il a été un homme dans la supérieure et libérale signification de ce mot. Il a été un être privilégié, s’élevant sans effort au-dessus des vulgarités et des calculs subalternes de la vie, portant sa noblesse dans ses traits, dans le geste, dans le regard, mêlant la dignité extérieure à la grâce dans la familiarité, ayant toujours la main ouverte pour un bienfait, facile à ses amis, gardant jusqu’au bout le culte de sa mère et l’affection du lieu natal. Il s’est ruiné peut-être un peu pour ne pas se séparer des propriétés qu’il aimait; il avait des tendresses pour Saint-Point, pour Milly, pour ses arbres, pour ses coteaux qu’il a consacrés par sa poésie, qui étaient une partie de sa vie. C’est le Lamartine de l’intimité, tel que ses amis l’ont connu et aimé, tel que M. Henri de Lacretelle le fait revivre dans des pages familières où se reflète encore cette glorieuse image.

De quelque manière qu’on le juge, chez cet homme à la destinée si étrange, il y avait la grandeur dans la grâce, il y avait ce qui fait les renommées universelles, ce qui est au-dessus des conflits des partis, ce qui survit aux fluctuations de la popularité, et à coup sûr ses compatriotes lui devaient bien l’hommage de cette statue qui lui a été élevée dix ans après sa mort, qui a été inaugurée l’autre jour au milieu des fêtes de Mâcon. Il y a eu pèlerinage à Saint-Point, auprès de l’ombre de Lamartine affectueusement gardée par une pieuse héritière, — processions de jeunes filles à Mâcon, banquets, discours du maire et du préfet. Rien de mieux! Par quelle fatalité cependant, par quelle singulière combinaison de maladresses, de malentendus ou d’oublis est-il arrivé qu’à cette fête commémorative, autour de la statue de Lamartine, il ne s’est trouvé que des personnages locaux et des fidèles assez obscurs d’une telle gloire? Oui, en vérité, le jour où un hommage solennel devait être rendu à celui qui a été un des plus grands poètes de tous les