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nullement l’instinct de la couleur. A Londres, les femmes de la petite bourgeoisie allient à l’envi dans leur toilette les nuances les plus criardes. Les plaids écossais, qui sont l’expression la plus originale du coloris d’outre-Manche, ont des tons crus, heurtés et discords. Une telle inaptitude à employer les couleurs est évidemment une cause d’infériorité dans la fabrication des tapis et des étoffes d’ameublement, où, si importante que soit sa part, le dessin, c’est-à-dire le décor, ne vient qu’après la couleur. Il semble d’ailleurs que les fabricans de tapis et de papiers peints, convaincus de leur impuissance à atteindre à l’éclat de la couleur, ne s’efforcent plus que d’en trouver l’harmonie. Ils n’emploient guère que les tons sur tons ou les nuances de gamme sombre. La cristallerie anglaise gagnerait à suivre cet exemple. Ses lustres de verre coloré, imités de ceux de Murano, sont d’une abominable crudité de ton. Au contraire, dans les grands miroirs, les lustres, les girandoles et les appliques de cristal blanc, les carafes et les verres taillés à facettes, l’industrie anglaise rivalise avec Baccarat.

La façade de la Suède tient du chalet moderne par le bois dont elle est construite, ses toits à projection et ses faîtes déchiquetés, et de la chapelle byzantine par ses arcatures en arc surhaussé, ses frises ornementées et ses frêles colonnettes à chapiteaux en pyramide renversée. Non contente d’affirmer par ce chalet l’originalité de son architecture, la Suède a voulu que les clôtures intérieures de sa section fussent aussi découpées en sapin dans le style national ; la décoration des vitrines est ainsi en harmonie avec les objets qui y sont exposés. Si l’habileté du travail et la qualité des matériaux ne sont point irréprochables dans ces meubles de chêne sculpté, dans ces bijoux filigranes, dans ces poêles de faïence émaillée, dans ces majoliques italiennes, dans ces services de table à décor Louis XV en camaïeu rose, et dans ces vases et ces cornets multicolores renouvelés du Japon, de Sèvres et de la Saxe, l’ordonnance, le choix des formes, le goût de la décoration, méritent de vifs éloges. On voit que la Suède, qui au XVIIIe siècle a été souvent en rapport avec la France, en a pris de bonnes leçons. La Norvège, où la civilisation est moins avancée, a, de là, plus de saveur locale. Elle expose entre autres curiosités de petites boîtes de sapin couvertes d’arabesques et de rinceaux finement travaillés. Ces merveilleuses guipures de bois sont, paraît-il, sculptées avec la pointe du couteau par les paysans norvégiens, dans les longs jours ou plutôt dans les longues nuits de neige. Les fourrures sont le luxe du nord. En Norvège, il y en a de toute sorte : peaux d’ours, de loup, de renne, de renard blanc, tapis de ventre de cygne, dont le duvet est plus soyeux et plus luisant que la soie grège. Pourquoi faut-il qu’au