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retour. Le fanatisme royaliste a détruit la royauté. Dès que les hommes qui ont prêté le serment du jeu de paume, dès que les Mounier, les Malouet, les Lally-Tollendal, sont regardés comme des jacobins de 93 par les jacobins de la monarchie absolue, le régime tutélaire et libéral soutenu par Mallet-Dupan n’a plus aucune chance de mettre à profit la lassitude de l’opinion publique. La fatigue de tant de luttes, l’horreur de tant de crimes, le besoin d’assurer le repos du pays sans renoncer à de légitimes conquêtes, tous ces sentimens auraient dû préparer une conciliation nécessaire entre les partis. Les forcenés de l’extrême droite y mirent bon ordre. Le jour où des révolutionnaires accablés, épuisés, chercheront un abri sous des institutions monarchiques, la violence des Marat de l’absolutisme ne leur permettra pas de tourner les yeux vers la royauté de 89 ; ils courront plutôt au-devant du joug et diront au maître comme dans le poème d’Edgar Quinet :

César, salut ! voici les faisceaux consulaires.


Une des parties les plus curieuses et les plus neuves du livre de M. Thureau-Dangin, c’est précisément le tableau de ce mouvement d’idées violentes qui, rendant à la plupart des hommes d’action toute espèce de retour impossible, les précipitèrent de la révolution dans l’empire. On avait déjà peint avant lui l’infernale habileté de la politique de 93 ; on avait déjà dit que les meneurs de la montagne savaient bien ce qu’ils faisaient en forçant la convention à voter la mort du roi. Ce qu’on ne savait pas, ou du moins ce qu’on n’avait pas encore montré avec autant de précision, c’est que les hommes qui creusèrent l’abîme entre l’avenir et le passé de la France assurèrent du même coup rétablissement du régime impérial. Le régime impérial est le produit direct, le produit inévitable du 21 janvier 1793.

Quand même il n’y aurait pas eu là un général Bonaparte, l’histoire eût suivi le même cours. Les détails seuls auraient changé, non pas la conclusion. Au lieu du vainqueur d’Arcole et des Pyramides, un autre homme de guerre se serait trouvé qui eût répondu aux nécessités publiques. Ces appels multipliés qui, depuis le traité de Campo-Formio, en tant de circonstances et par des voix si diverses, poussèrent au suprême pouvoir le général républicain, croit-on que d’autres généraux républicains ne les eussent pas entendus comme lui ? Angereau, qui a fait le coup d’état de fructidor pour soutenir un gouvernement avili, eût-il donc éprouvé plus de scrupule, si l’opinion l’y eût convié, à faire un coup d’état dans un autre sens ? C’étaient les républicains d’alors, notez-le bien, qui avaient mis à l’ordre du jour la politique des coups d’état ; c’était