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Allemagne même, et qu’il a du reste rectifiée indirectement dans une autre partie de son ouvrage. Ses jugemens sur notre littérature moderne pourraient parfois gagner à une révision plus sévère. Par exemple, nous ne saurions admettre que M. Flaubert, parce qu’il a écrit Madame Bovary, soit le premier de nos romanciers, ni que Rabagas soit le chef-d’œuvre de M. Sardou. Nous serions plus disposé à rendre hommage à la finesse et à la dureté de ses appréciations quand il traite de nos peintres et de nos statuaires des trois derniers siècles et du nôtre, quand il décrit les beautés de Chambord et les élégances du parc de Saint-Cloud. Il y a un charmant chapitre consacré au Petit-Trianon, aux souvenirs qu’il éveille et au changement d’idées dont il est le précurseur à la fois idyllique et menaçant. Ce que nous tenons aussi à relever, c’est que, contrairement aux allégations fréquentes de la critique étrangère, M. Busken Huet discerne nettement un caractère national, original, très français dans les œuvres de nos artistes, anciens et modernes, en qui l’on ne voulait voir que des copistes plus ou moins heureux de l’Italie et de la Flandre. Si nous nous permettions d’émettre un vœu, ce serait que M. Busken Huet continuât en France et hors de France ses études esthétiques. Ses travaux antérieurs, son vaste savoir historique, bien loin de nuire à ses jugemens en fait d’art, contribuent au contraire à leur donner plus de solidité.

C’est un tout autre genre de livre que le second ouvrage néerlandais dont nous voulons dire aussi quelques mots. Il s’agit d’un roman en trois volumes, In dagen van strijd, par A.-S.-C. Wallis, et ce n’est plus commettre une indiscrétion que de révéler le véritable nom qui se cache sous ce pseudonyme. Ce roman est l’œuvre d’une femme, d’une jeune personne, fille de l’éminent professeur de philosophie d’Utrecht, M. Opzoomer, et qui s’était déjà fait connaître sous le même pseudonyme par des poésies très goûtées. Ce roman trahissait son origine féminine par une certaine prolixité jointe à une délicatesse de sentimens qui anime rarement les productions du sexe fort. On en jugera jusqu’à un certain point par ce rapide aperçu.

Un jour d’été en 1563, une religieuse du couvent d’Ilmenoude en Gueldre, la sœur Clara, qui avait dans le pays la réputation d’une sainte, fut priée par un jeune homme du nom d’Edward Melville de venir assister sa mère mourante. Là elle apprit une douloureuse histoire. La mourante, née à Utrecht, avait été dans sa jeunesse d’une rare beauté. Recherchée par un jeune Melville, elle avait commis la faute de se laisser enlever par un comte de Brénis, qui l’avait épousée secrètement, puis l’avait abandonnée, elle et l’enfant qu’elle portait dans son sein. Cet enfant était Edward, et il devait son nom de Melville au fait que, repoussée et maudite par les siens, sa mère avait trouvé un refuge à Anvers auprès de son premier amant, qui lui avait pardonné. Il avait même adopté son fils, à la condition que l’enfant