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dont il est le chef et le gardien ne soit plus soumise au contrôle, exposée aux chicanes de MM. Edouard Lasker et Eugène Riehter. En 1873, le gouvernement impérial demanda au Reichstag de fixer à jamais par une loi le chiffre de l’armée active en temps de paix. Le Reichstag se souvint de ce qu’avait dit précédemment M. Lasker : — « Si l’on obtient de vous que vous renonciez à voter chaque année le budget militaire, vous aurez réduit vos droits à une vaine apparence. Appelons la chose par son nom ; vous investirez le gouvernement d’un pouvoir dictatorial, et les dictatures ne sont supportables que lorsqu’elles sont provisoires. » La résistance du Reichstag affligea profondément l’empereur Guillaume. Le 22 mars, jour anniversaire de sa naissance, il dit à ses généraux, qui lui apportaient leurs félicitations et leurs vœux, qu’une crise dangereuse menaçait l’armée. Il s’était promis que le sort de cette armée qui lui était si chère serait réglé une fois pour toutes et son avenir assuré ; c’était l’héritage qu’il voulait laisser à son fils et à ses peuples, pour protéger leur sûreté contre tous les ennemis du dedans et du dehors. Il ajouta que les difficultés qu’on lui suscitait troublaient le soir de sa vie. L’affaire se termina par une transaction, par un accommodement. On vota le septennat militaire, et l’effectif en temps de paix fut fixé au chiffre de 401,659 hommes à partir du 1er janvier 1875 jusqu’au 31 décembre 1881. L’avenir était réservé.

Toutes les fois qu’il s’est agi de l’armée et de ses intérêts, l’empereur Guillaume est entré en scène, il s’est découvert, il s’est exposé, il a prononcé le mot décisif, et les partis se sont inclinés, hormis les progressistes, hormis surtout les socialistes. Rien n’a servi plus utilement la cause du socialisme que les protestations qu’il a élevées contre l’excès des charges militaires, le bourgeois lui en a su gré. L’impôt toujours croissant pesait lourdement sur l’Allemagne, qu’inquiétait le marasme prolongé de son commerce et de ses industries ; elle a lu avec plaisir des journaux qui s’appliquaient à lui démontrer que les grosses épaulettes étaient la cause de tout le mal, qu’elles ruinaient le pays, que le caporal lui-même coûtait trop cher. L’empereur Guillaume s’est plaint en 1874 que les chicanes des libéraux troublaient le soir de sa vie ; il ne soupçonnait pas d’autres épreuves bien plus cruelles qui l’attendaient. A qui en voulaient Hœdel et Nobiling ? Ce n’est pas un Hohenzollern, ce n’est pas un vieillard justement honoré, ce n’est pas le roi de Prusse qu’ils ont tenté de détruire, c’est le chef militaire de l’empire allemand, c’est le budget de la guerre. Ils n’ont pas vu la tête, ils n’ont pas vu la couronne, ils n’ont vu que le casque. Les assassins ont l’esprit court, leur clairvoyance ne va pas plus loin que le bout de leur revolver ou de leur fusil, et ils se figurent qu’une chevrotine est une solution.

Au lendemain de l’attentat de Hœdel, le gouvernement impérial