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recueillant le fruit de quelques années réparatrices, relevée par les arts, par l’industrie, comme par le crédit, remise pour ainsi dire en honneur à ses propres yeux et aux yeux des autres nations. Elle est un premier dédommagement après tant de mauvais jours, et un des plus aimables commentaires de cette inauguration du 1ér mai. Un des signes les plus caractéristiques de toute cette situation nouvelle, c’est le discours que le prince de Galles a prononcé le lendemain dans un banquet des expo-sans anglais présidé par lord Granville. « Pendant une année, selon le mot de lord Granville, le prince n’a pas passé un jour sans travailler pour l’exposition, » —- et après avoir été à la peine il est au succès, à ce succès qu’il prend lui-même plaisir à constater. L’héritier de la couronne d’Angleterre à conquis d’un seul coup, par la bonne grâce de son langage, son droit de cité parmi nous. Il a trouvé le moyen d’être désormais chez lui dans une ville à laquelle il appartenait déjà un peu par ses goûts, par ses fréquens séjours ; il s’est créé une popularité souriante en faisant de la courtoisie la meilleure des politiques. Le prince de Galles n’a sans doute rien dit que de simple et de naturel. Il s’est plu à représenter la coopération cordiale de l’Angleterre et de la France dans une œuvre commune de civilisation comme un événement de la plus haute importance pour les deux nations et pour le monde entier. « La part que nous avons tenu à prendre dans cette exposition internationale, a-t-il dit, est la meilleure marque de sympathie que nous puissions donner à ce peuple français à qui nous devons tant et que j’aime de tout cœur. » Et le langage familier du banquet a même été peut-être plus accentué encore, plus empreint d’une vive et sincère cordialité. Il ne faut rien exagérer sans doute, il ne faudrait pas se hâter de donner à des paroles aimables une portée politique qu’un prince constitutionnel d’Angleterre ne donnerait pas à ses discours, surtout à des discours prononcés en pays étranger. L’héritier de la couronne d’Angleterre a parlé tout simplement en hôte charmé et séduisant de la France. Ce n’est pas moins un curieux phénomène propre à notre temps et propre aussi peut-être à cette situation générale que les événemens font à tout le monde.

Comme tout est changé en effet dans la vie des peuples ! Autrefois, à l’aurore de la révolution française, au début tourmenté et sanglant de la première république, tout était haine et fureur entre l’Angleterre et la France. Charles Fox avait de la peine à faire entendre dans la chambre des communes une parole de sympathie pour la révolution qui commençait et il ne pouvait réussir à désarmer la politique vengeresse de Pitt, dont le nom seul est resté pour des années un symbole de guerre, un objet d’animadversion populaire en France. A des époques bien plus récentes, les divisions, les antipathies, les défiances étaient loin d’avoir entièrement disparu, et le prince de Galles a pu dire l’autre jour sans embarras : « Il n’y a pas encore bien des années, il fut un