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peu négligé pour ses idées libérales, » De Serre se faisait promptement écouter et considérer ; il avait la faveur des souverains et des diplomates. « Nous allâmes voir M. de Serre, quoique nous eussions été dans des rangs opposés, a écrit Chateaubriand. Nous trouvâmes un homme au-dessus de l’idée que nous nous en étions faite ; nous nous liâmes avec lui… » De Serre, de son côté, ne résistait pas aux séductions du génie, il se prenait d’un vif attrait pour Chateaubriand, qu’il allait avoir pour chef.. Je ne sais pas si, réunis ensemble au pouvoir, ils auraient été longtemps d’accord ; ils s’entendaient du moins en ce moment sur ce qui pouvait servir la grandeur nationale, sur quelques-unes des conditions de l’influence française, et même sur certaines nécessités de libéralisme dans la politique extérieure. Le congrès de Vérone était assurément utile à De Serre : il lui avait offert l’occasion de se lier avec Chateaubriand, de voir de près les ressorts de la politique européenne, les principaux personnages du temps ; mais le congrès de Vérone n’était pour lui qu’une diversion après laquelle il retombait dans son ambassade inoccupée, dans cette vie napolitaine où il n’avait que la ressource de quelques relations de choix, de l’étude, des excursions à Ischia ou au Mont-Cassin.

Au milieu de cette existence nouvelle, dès son arrivée en Italie, De Serre avait rencontré un homme avec qui il avait formé une amitié sérieuse et durable : c’était l’historien de Rome, l’érudit allemand Niebuhr, qui représentait alors la Prusse auprès du saint-siège. De Serre avait trouvé dans le savant prussien un guide empressé, heureux de le conduire à travers les ruines romaines, de lui expliquer les Gracques, Marius et Sylla, les mœurs, la religion, la constitution de Rome. Quelques jours passés ensemble, en promenades communes, en éloquens entretiens, avaient suffi pour nouer entre ces deux hommes une liaison qu’une correspondance suivie fortifiait et à laquelle un voyage de Niebuhr à Naples donnait bientôt le caractère d’une grave intimité. Niebuhr avait un peu d’emphase, il appelait ses enfans Cornélie et Marcus ; c’était au fond une tête de savant et un cœur plein d’ingénuité. Il avait pour De Serre un vrai fanatisme. « J’ai passé avec lui des jours pleins d’enseignement, des jours inoubliables, écrivait-il à une amie d’Allemagne… C’est un des hommes les plus rares et les plus nobles que j’ai jamais rencontrés. Nous nous sommes expliqués réciproquement et avec franchise sur tout ce qui préoccupe l’esprit humain, sur le passé et le présent, sur l’Allemagne et la France ; la nationalité ne nous sépare point… Il convient à une cour autant que moi, si ce n’est qu’il se prête à toute chose avec plus d’enjoûment… Sa famille doit être, grâce à lui, la plus heureuse du monde : une femme vive et sensée qui admire son mari, qui est fière de lui et en est fort aimée ; des