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déplacent d’un instant à l’autre et se précipitent dans une sorte d’obscurité vers un dénoûment inconnu. Comment tout cela peut-il finir en effet ? Où est le moyen de concilier les « vrais intérêts de l’Europe » et les « espérances » avouées, déjà plus qu’à demi réalisées par la Russie ? . Que sortira-t-il de ce congrès ou de cette conférence dont on parle sans cesse comme de la grande ressource, et qui dans tous les cas ne peut plus se réunir que sous le coup des faits accomplis ? A quoi se décideront l’Autriche et l’Angleterre, les deux puissances le plus directement engagées ? Quel est le dernier mot de M. de Bismarck lui-même et de cette politique allemande que le terrible chancelier vient d’exposer, sans se compromettre, dans le parlement de Berlin ? Voilà la question multiple, redoutable, devant laquelle tout s’efface aujourd’hui, même cette élection si prompte d’un nouveau pape qui semble se perdre dans le tourbillon de la crise orientale.

Certes cette épreuve d’une guerre qui, après avoir ensanglanté les régions du Danube, menace l’Occident, cette épreuve aurait dû être épargnée à l’Europe. Elle a été trop visiblement préparée et suscitée, elle est le résultat d’une longue préméditation, de savans et dangereux calculs. Ce n’est pas qu’il n’y ait eu des prétextes, les prétextes n’ont jamais manqué, ils sont pour ainsi dire séculaires en Orient. Abus d’administration, violences oppressives, insurrections locales, c’est l’état permanent des provinces ottomanes. La Turquie a toujours eu soin de fournir une provision de griefs contre elle ; mais enfin, à voir les choses de près, avec quelque sang-froid, les insurrections de l’Herzégovine et de la Bosnie, qui sont devenues le point de départ de la guerre d’aujourd’hui, n’étaient pas à l’origine plus graves que bien d’autres mouvemens semblables. Avec des efforts suivis et persévérons, on aurait pu améliorer par degrés le sort des populations orientales, sans précipiter la chute d’un empire dont l’existence indépendante gardait après tout aux yeux de l’Europe le mérite d’être une garantie de paix et d’équilibre public. Il n’y avait aucune cause impérieuse et pressante d’intervention armée. Si la question d’Orient s’est relevée tout entière dans ces conflits obscurs qui ont agité il y a trois ans l’Herzégovine, c’est qu’on l’a bien voulu, c’est que là Russie a cru le moment favorable pour frapper un grand coup.

La Russie, c’est bien évident, a obéi à un double mobile, à une ambition traditionnelle et à l’impatience d’effacer jusqu’à la dernière trace de la guerre de 1856. Elle a su d’ailleurs mettre un art consommé à profiter de la complaisance encourageante de l’Allemagne et de l’incohérence diplomatique du reste de l’Europe, à ménager les neutralités, à préparer le terrain par des négociations qui ne pouvaient qu’isoler la Turquie. En un mot elle a manœuvré avec autant de dextérité que de hardiesse pour rester libre au moins dans la première partie