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protestations généreuses, tandis que d’autres, s’accommodant sans peine de la situation, déclaraient le problème résolu ! Ces derniers allaient jusqu’à dire que la révolution française, indifférente à la liberté politique et occupée seulement de l’égalité civile, avait atteint son but dans le code Napoléon. Nous savons tous avec quelle dialectique Charles de Rémusat a réfuté ici même ces doctrines désolantes[1], avec quelle force Edgar Quinet les a condamnées et dans sa Philosophie de l’histoire de France[2] et dans son livre sur la révolution. Eh bien, Stockmar ne s’arrête même pas un instant à l’examen de cette controverse ; la théorie des tempéramens nationaux, qu’elle soit vraie ou fausse, ne lui paraît ni une explication ni une excuse. Si la France n’a pas encore réussi à établir un gouvernement constitutionnel assez fort pour surmonter les épreuves, ce n’est pas à l’incapacité politique de la nation qu’il faut attribuer ces échecs, c’est à la faiblesse des hommes d’état ; Les révolutions de la France monarchique au XIXe siècle, particulièrement la plus funeste de toutes, la révolution du 24 février 1848, n’ont pas eu d’autre cause. Pendant tout le règne de Louis-Philippe, la France n’a jamais possédé ce qui est l’organe vital de tout état constitutionnel, un ministère capable de comprendre et d’exercer les droits que donne la responsabilité.

Quoi ! jamais ! de 1830 à 1848, il n’y a pas eu un seul homme d’état qui ait compris ses devoirs et exercé ses prérogatives de ministre parlementaire ! Stockmar excepte Casimir Perier, et peut-être aussi le comte Molé[3] ; à tous les autres, même aux plus illustres, il refuse absolument l’intelligence du droit constitutionnel. S’ils avaient compris ce qui est l’essence même de ce droit, ils eussent sauvé le souverain en lui résistant. Rejeter telle ou telle faute sur le caractère du roi, comme l’ont fait certains ministres, ou du moins leurs amis, après la catastrophe de 1848, c’est montrer la plus profonde ignorance des conditions du système. Les ministres, dans le système constitutionnel, sont précisément là pour empêcher qu’aucune faute, aucun échec, puisse être imputé au souverain. Faire que la fiction de l’infaillibilité royale devienne une vérité, voilà leur première tâche ; sans cela une monarchie constitutionnelle différerait assez peu de la monarchie absolue ; elle aurait une physionomie plus légale, plus libérale, elle sauverait les apparences, mais le fond serait le même, ou à peu près. Est-ce qu’un roi intelligent,

  1. Voyez dans la Revue du 1er avril 1863 l’étude intitulée : Démocratie et liberté. Voyez aussi dans le n° du 15 novembre 1869 : le But politique de la Révolution française.
  2. Voyez la Revue du 1er mars 1855.
  3. « Casimir Perier ausgenommen und vielleicht Molé. » — Denkwürdigkeiten aus den Papieren des Freiherrn Christian Friedrich Stockmar, p. 474.