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M. Decazes, il ne tardait pas à s’engager dans une vive liaison avec le ministre de l’intérieur; ces deux hommes s’attachaient promptement l’un à l’autre, et, par la différence même de leur esprit, de leur caractère, ils se complétaient dans l’action.

De Serre, à la vérité, avait un peu étonné et peut-être un peu froissé au premier moment Royer-Collard en se décidant à entrer au ministère sans trop consulter ses amis; mais de ce côté il restait toujours le grand espoir, il pouvait passer pour le plus brillant représentant des doctrinaires au gouvernement, et par le fait le cabinet était la victoire de cette fraction des libéraux royalistes plus encore que de tout autre parti. Avec les nouveaux ministres, M. Guizot, M. Villemain, M. de Barante, avaient de grandes directions au ministère de l’intérieur, aux beaux-arts, aux finances. Camille Jordan était au conseil d’état. Dans son désir de rallier les hommes jeunes du monde libéral. De Serre avait eu même un instant l’idée de faire un sous-secrétaire d’état d’un avocat déjà renommé alors, illustré depuis par ses versatilités autant que par ses talens, Dupin, le défenseur du maréchal Ney. Dupin hésitait, puis finissait par refuser, et il s’exposait à recevoir du garde des sceaux ces paroles, dont une longue carrière a fait une haute et prophétique ironie : « Je comprends qu’après tant de naufrages il faut une vocation toute particulière pour s’engager dans la voie des périls et des sacrifices. » M. Dupin n’eut jamais en effet la vocation des sacrifices et des naufrages! En définitive, avec les doctrinaires qui lui restaient, De Serre avait autour de lui un bataillon d’élite, un peu raisonneur, un peu exigeant peut-être, mais brillant d’intelligence, disposé à le servir par le conseil, par la presse, et M. Guizot, en lieutenant impatient, d’importance, avec le ton d’un censeur familier, ne craignait pas d’aiguillonner dès les premiers temps le cabinet et le garde des sceaux. « Il faut absolument que vous parliez demain, écrivait-il un jour à De Serre ;... tout le monde s’étonne et tout le monde a raison. On se demande si le ministère est donc paralysé, muet, mort, et en effet il en a l’air. C’est à vous de ne pas souffrir qu’il ait un seul instant cette fausse apparence... Vous seul pouvez et vous devez. Je vous proteste que cela est grave... Pour Dieu, ne dormez pas sur le banc des ministres. Soyez sûr que ce n’est pas seulement pour faire des tragédies qu’il faut avoir le diable au corps... » M. Guizot en parlait un peu à l’aise; l’auxiliaire, si M. Guizot a été jamais un auxiliaire, dictait son rôle au chef de file. Le ministère n’était en réalité ni paralysé ni mort; il avait seulement à chercher sa voie, à mesurer sa marche sous le feu des oppositions extrêmes qui l’épiaient dès la première heure et à montrer qu’il pouvait être, comme il le voulait, même sans M. de Richelieu, le gouvernement de modération libérale dont la restauration